Sigurd Lettow: «Adopter une approche globale»
Le nouveau Directeur des finances et des ressources humaines du CERN, Sigurd Lettow, donne une interview au Bulletin à l'occasion de son entrée en fonction.
Sigurd Lettow a pris les fonctions de Directeur des finances et des ressources humaines (CFO) le 1er janvier 2007. Ce juriste et administrateur de 56 ans connaît bien la recherche internationale et son fonctionnement. Après avoir exercé plusieurs postes à responsabilité dans le milieu scientifique en Allemagne, il a été Chef de l'administration de l'Institut Laue-Langevin (ILL à Grenoble) entre 1994 et 2001. Il est ensuite devenu Vice-président du Conseil exécutif du Centre de recherche de Karlsruhe en Allemagne (3500 employés). Une année plus tard il a de surcroît été nommé Vice-président de l'Association Helmholtz, dont le Centre de Karlsruhe fait partie. Avec 16000 employés répartis dans 15 centres de recherche, dont DESY et GSI, l'Association Helmholtz est la plus grande organisation de recherche en Allemagne. Sigurd Lettow a accompagné et soutenu avec succès une profonde réforme de la structure et des finances de cette association. Arrivé au CERN en juillet 2006, il connaissait déjà le Laboratoire pour avoir été membre du Comité d'examen externe mis en place après la crise financière de 2002. Il nous livre sa vision sur les changements d'organisation et de ressources que le CERN mènera dans les mois à venir, avec la mise en service du LHC.
Le Bulletin: Quelle est votre impression sur le CERN six mois après être arrivé?
Sigurd Lettow: J'ai passé ces six derniers mois sur le terrain plutôt que dans mon bureau, à rencontrer et écouter le plus de personnes possible. Mon impression par rapport à celle que j'avais eue en 2002, lorsque j'avais réalisé des interviews en tant que membre du Comité d'examen externe, a été complètement différente. Il y a quatre ans, les gens doutaient et s'inquiétaient de la réalisation du LHC. Ces derniers mois, j'ai été impressionné par leur optimisme et leur détermination. Les employés ont travaillé très dur pour le succès du LHC et, comme moi d'ailleurs, ils n'ont plus aucun doute quant à sa réussite. Le personnel a repris confiance et, dans la même dynamique, grâce au travail accompli, les États membres ont repris confiance dans l'Organisation; c'est un point très positif!
Le Bulletin: Néanmoins, il subsiste toujours des inquiétudes, notamment en ce qui concerne la baisse programmée de l'effectif.
Sigurd Lettow: Les ressources, qui ont été décidées en 1996 au moment de l'approbation du LHC, sont insuffisantes pour tirer pleinement parti du potentiel de physique de cette nouvelle machine. C'est la responsabilité du Conseil de s'assurer que le CERN aura les moyens nécessaires pour produire la physique attendue et rentabiliser un investissement humain et financier de plus de 10 ans. Les États membres doivent par ailleurs réaliser qu'il est incohérent de rêver d'un engagement encore plus fort du CERN pour soutenir des projets futurs de physique, tout en réduisant l'effectif à 2000 employés. Avec la Direction générale, je ferai tout mon possible pour convaincre les délégués. Mais se contenter de demander plus n'est pas réaliste. Les États membres veulent être certains que les ressources sont utilisées le mieux possible.
Le Bulletin: Justement, comment mieux utiliser nos ressources?
Sigurd Lettow: Je suis convaincu qu'il existe encore une marge d'économie. Mais cela implique un changement de notre approche de l'Organisation. Au lieu de penser en termes de département ou de groupe, nous devrions adopter une approche globale et penser en termes de processus. En pratique, cela signifie par exemple que les mêmes services ne devraient pas être fournis par plusieurs équipes à divers endroits du Laboratoire. Absorbés par l'objectif du LHC, certains départements ont ainsi créé des fonctions qui existaient ailleurs. Rationaliser les processus permettrait de mieux utiliser nos ressources.
Le Bulletin: Quels sont les grands chantiers des ressources humaines associés à ce changement d'approche?
Sigurd Lettow: Après le démarrage du LHC, l'organisation ne pourra plus être la même qu'aujourd'hui. C'est une évidence, mais beaucoup n'arrivent pas encore à le réaliser. Le CERN a été modelé pendant plus d'une décennie pour construire le LHC. Cette phase s'achevant, nous devons nous transformer en une organisation au service des utilisateurs qui vont venir en grand nombre faire de la physique. Heureusement, le CERN a cette longue tradition et cet esprit de service. Mais cela implique néanmoins de réduire certaines activités qui ont pris de l'ampleur avec la phase de construction, comme les achats par exemple, et d'en renforcer d'autres. Cela signifie également que notre administration doit se focaliser sur cette mission de service et qu'elle doit être encore plus transparente, efficace et fiable.
Le Bulletin: Quelles conséquences sont à prévoir pour la structure de l'Organisation?
Sigurd Lettow: Il est clair que les départements ne seront plus les mêmes qu'aujourd'hui. Les départements techniques vont être évidemment touchés. Effectuer cette réforme implique d'identifier toutes les tâches futures et les ressources humaines qu'elles nécessitent. Dans cet objectif, j'ai accru le rôle de la planification en faisant de l'Unité de ressources, de planification et de contrôle une entité indépendante. Attachée au CFO et répondant directement à la Direction générale, elle interagit avec les départements des Ressources humaines et des Finances. D'autre part, le rôle du Département des Ressources humaines va être primordial. J'ai demandé aux équipes des ressources humaines d'anticiper, d'être sur le terrain et plus proches des membres du personnel afin de les aider à effectuer cette transition.
Le Bulletin: En pratique, qu'est-ce que cette transition va changer pour les membres du personnel?
Sigurd Lettow: Cela signifie que la mobilité interne va prendre un nouvel élan. Nous ne pouvons plus penser résoudre tous les problèmes au sein d'un groupe ou d'un département: il faut adopter une approche plus large et être prêt à offrir ses compétences dans tout le Laboratoire. Un très bon outil avait été mis en place au service de la mobilité interne, le système d'Inventaire de Compétences et Talents (STI). Il a malheureusement été délaissé et je comprends que beaucoup se soient interrogés sur son utilité. Mais nous allons le simplifier, le relancer et encourager tout le monde à l'utiliser. Nous nous préparons au plus grand changement que l'Organisation ait connu depuis 15 ans en termes d'organisation et de ressources humaines, et cette transition nécessite le soutien de tous.