Le CERN est l’un des plus beaux fleurons de la construction européenne

François de Rose, diplomate français, fut l’un des pionniers du CERN. En mission diplomatique aux États-Unis, au lendemain de la Seconde guerre mondiale, il y rencontra de grands noms de la physique qui siégeaient, comme lui, à la Commission pour le contrôle international de l’énergie atomique de la toute jeune Organisation des Nations Unies. Il se lia d’amitié avec Robert Oppenheimer, rencontra Isidor Rabi et les français Lew Kowarski, Pierre Auger et Francis Perrin, des physiciens tous convaincus que la reconstruction de l’Europe passait aussi par le développement de ses moyens de recherche fondamentale.

 

M. François de Rose, lors de la célébration officielle du cinquantenaire du CERN en 2004.

Les Etats-Unis s’étaient dotés de puissants accélérateurs de particules, et l’Union Soviétique suivait. Ces outils de plus en plus sophistiqués et imposants étaient trop onéreux pour un seul État européen. C’est ainsi que François de Rose et des scientifiques prirent leur bâton de pèlerin pour plaider auprès des gouvernements européens la création du premier centre de recherche fondamentale à l’échelle du vieux continent. On connaît la suite. Le CERN fut fondé en 1954 et François de Rose en fut le président du Conseil de 1958 à 1960. Durant son mandat, il obtint notamment l’extension du CERN sur le territoire français. Il fut également délégué français au Conseil du CERN pendant plusieurs années. Près de 60 ans plus tard, le CERN s’est hissé au premier rang de la physique fondamentale dans le monde, ce qui réjouit François de Rose, son seul fondateur encore en vie. Dans sa centième année, le diplomate livre ses impressions sur l’Organisation dans une interview au Bulletin.

Vous êtes l’un de ceux qui avez participé à l’aventure de la création du CERN. Au début des années 50, la physique fondamentale était dominée par les Etats-Unis et l’URSS, et la science européenne était en déclin. Aujourd’hui, le CERN est le plus grand Laboratoire de physique des particules du monde. Que vous inspire cette évolution ?

Un de mes premiers souvenirs est celui du sentiment de fierté et d’enthousiasme qui a animé les premiers collaborateurs du CERN. C’est un peu comme si tout le monde avait le sentiment d’être embarqué dans une aventure sans pareille. Et cela était général à tous ceux qui avaient été impliqués dans cette affaire, depuis un géant de la science tel Niels Bohr jusqu’au plus humble collaborateur théoricien ou expérimentateur. Il y a eu dès le début un esprit de corps très vivant.

Je crois que c’est une expérience unique d’une entreprise scientifique qui a suscité des vocations aussi engagées et passionnées. Je crois même que le rayonnement du CERN va bien au delà de son domaine propre. Le CERN est devenu un nom commun pour désigner une grande entreprise scientifique à vocation universelle, ce qui explique qu’elle rayonne au-delà des frontières et recrute ses chercheurs, ses élèves et ses professeurs dans tous les pays du monde.

Continuez-vous à suivre les actualités liées au CERN ?

Je m’intéresse aux recherches du CERN lorsqu’elles ne sont pas trop complexes à comprendre. J’étais heureux et fier de la mise en marche du LHC. Je suis particulièrement intéressé par les recherches du LHC qui portent sur l’évolution de l’Univers et son origine. Il y a là une fenêtre qui s’ouvre sur un monde jusqu’à présent hermétiquement clos : les découvertes ne résoudront certainement pas toutes les énigmes qui se posent mais nous permettront peut-être de réaliser quelques pas dans cet inconnu.

Pourquoi êtes vous attaché au CERN ?

Je suis attaché au CERN parce que c’est une aventure extraordinaire, qui m’a mis en contact avec des gens très intelligents et qui m’a ouvert des perspectives qui font rêver. C’est aussi parce que le CERN est à la fois l’un des plus beaux fleurons de la construction européenne, un foyer d’où rayonne la culture européenne dans ce qu’elle a de plus universel, un centre de paix qui accueille les chercheurs du monde entier. En ma qualité d’ancien diplomate, je me félicite du succès de cette entreprise de coopération internationale.

Justement, en tant que diplomate, quelle est votre opinion sur les liens entre la science fondamentale et l’entente entre les nations?

On peut penser que tout ce qui est du domaine des connaissances partagées est un élément de rapprochement. La science, qui a souvent été l’auxiliaire des œuvres de guerre, est devenue un instrument de rapprochement entre les nations. Archimède et Léonard de Vinci, et tant d’autres, ont travaillé à des œuvres de guerre. Mais, dit on, les Chinois n’avaient trouvé que les feux d’artifice comme application de la poudre. Ma fréquentation régulière des hommes de science m’a permis de constater que ceux-ci sont profondément attachés au développement pacifique de leurs activités.

Quelle est selon vous l’utilité de la science fondamentale dans un monde plutôt porté vers la rentabilité économique à court terme?

La spéculation intellectuelle la plus désintéressée est la plus haute. La science fondamentale n’obéit pas dans son principe à la notion d’utilité. Pourtant, très nombreuses sont les retombées qui ne répondent pas à l’objectif primaire du chercheur, mais en sont les conséquences directes ou indirectes. C’est ainsi que le Web, qui est utilisé dans le monde entier, a son origine dans les travaux du CERN.

Si vous souhaitiez transmettre un message au CERN et aux scientifiques qui viennent y mener leurs recherches, quel serait-il?

Plusieurs générations de scientifiques et administrateurs ont œuvré au CERN depuis plus d’un demi-siècle. Ils ont tous été conquis par l’importance à la fois scientifique et internationale du travail auquel ils étaient associés. Je souhaite que ce double idéal anime toujours tous les hommes et toutes les femmes qui ont le privilège de travailler au CERN. Je suis d’ailleurs sûr qu’il en sera ainsi.

par Corinne Pralavorio