ALPHA gèle les antiprotons

Des laboratoires comme le CERN produisent quotidiennement de nombreux types différents d’antiparticules. En 1995, l’expérience PS210 est parvenue à produire les premiers atomes d’antihydrogène et, quelques années plus tard, en 2002, ATRAP et ATHENA arrivaient déjà à en produire plusieurs centaines. Cependant, aucune expérience dans le monde entier n’a réussi à « piéger » ces antiatomes pour les étudier. Voilà l’objectif que s’est fixée l’expérience ALPHA, qui vient de réussir à faire tomber la température des antiprotons à quelques kelvins seulement. Il s’agit là d’une étape importante pour piéger l’antiatome, ouvrant de nouvelles perspectives pour la recherche sur les propriétés de l’antimatière.

 

Des membres de la collaboration ALPHA travaillent sur l'expérience dans le hall du décélerateur d'antiprotons au CERN.

Tout comme l’atome, l’antiatome est neutre. Mais l’antiatome est lui composé d’antiprotons (et non pas de protons) et de positons (et non pas d’électrons). Afin d’étudier en détail les propriétés des antiatomes, les scientifiques ont besoin de les piéger pendant un temps suffisamment long (jusqu’à une seconde). L’expérience ALPHA, installée au décélérateur d’antiprotons (AD) du CERN, a franchi dernièrement une étape importante en faisant tomber la température d’antiprotons à quelques kelvins seulement. « C’est la première fois que l’on parvient à atteindre des températures aussi basses pour un nuage d’antiprotons, explique Jeffrey Hangst, porte-parole d’ALPHA. La prochaine étape sera de mélanger les antiprotons froids avec les positons et de produire des atomes d’antihydrogène froids qui pourront rester piégés et ainsi être étudiés. »

Ce procédé, utilisé par la collaboration ALPHA pour refroidir les antiprotons, a été emprunté au domaine de la physique des atomes neutres et porte le nom de «refroidissement par évaporation» (evaporative cooling). « Imaginez que les antiprotons sont dans une cuvette - dans notre cas, il s’agit d’un creux électrostatique (electrostatic well). Au début, les antiprotons bougent pas mal car leur énergie est relativement élevée. Si vous abaissez un côté de la cuvette, les antiprotons chauds s’échapperont, tandis que les autres continueront à interagir dans la cuvette. La température de ceux qui restent finira par être plus basse qu’avant l’évaporation des antiprotons chauds. Continuez : les antiprotons chauds vont s’échapper et ceux qui restent atteindront un équilibre thermique à plus basse température », explique Jeffrey. Ce processus conduit à des pertes importantes d’antiprotons dans l’échantillon, mais la probabilité de former des antiatomes piégeables augmente considérablement.

L’AD produit des antiprotons à une énergie de 5,3 MeV, ce qui correspond à environ 6x1010 kelvins. En utilisant la technique du refroidissement par évaporation, la collaboration ALPHA est parvenue à faire tomber la température des antiprotons à 9 kelvins, augmentant ainsi la probabilité de piéger les atomes d’antihydrogène d’un facteur de 100 par rapport aux autres techniques de refroidissement. « Afin d’atteindre des températures de quelques kelvins à peine, nous devons surveiller attentivement la tension dans notre piège avec une précision de l’ordre du millivolt. En effet, un changement de la valeur du potentiel de 1 V équivaut à une différence de température de plus de 11 000 K.! Le bruit électrique dans le système doit être maintenu à un niveau très faible afin d’éviter le réchauffement des antiprotons. Le processus de refroidissement dure une dizaine de secondes en tout », précise Jeffrey.

La collaboration ALPHA étudie maintenant la possibilité d’appliquer cette technique à l’expérience principale. La prochaine étape sera de piéger des atomes d’antihydrogène, ce qui, on l’espère, devrait être possible d’ici à la fin de l’année.

par CERN Bulletin