Exotica : à l’affût des événements exotiques

Au temps de l’expérience UA1, qui a été récompensée par le prix Nobel, les physiciens présents dans la salle avaient pour habitude de faire retentir une sonnerie dès qu’un événement particulièrement intéressant faisait son apparition. Aujourd’hui, à CMS, le système d’alerte Exotica recense chaque jour les événements exotiques enregistrés la veille.

 

Schéma d'un événement sélectionné par Exotica.

Prenez une toute petite partie (5% tout au plus) des données disponibles ; choisissez les événements que vous souhaitez conserver puis définissez les paramètres correspondants ; exécutez le sous-programme Exotica ; il ne vous reste plus qu’à examiner les quelques images que le système a sélectionnées pour vous. Voici la recette élaborée par une petite équipe de chercheurs de la collaboration CMS pour identifier les signaux susceptibles de révéler de nouveaux processus de physique. « Cette approche ne remplace pas une analyse précise de l’ensemble des données. C’est tout de même un moyen rapide et efficace de se concentrer tout particulièrement sur un petit nombre d’éléments qui peuvent s’avérer très intéressants », explique Maurizio Pierini (CERN), qui, avec Tulika Bose (Université de Boston), Massimiliano Chiorboli (Université de Catania / INFN / CERN), Leonardo Benucci (Université de Anvers), Elizabeth Twedt (Université de Maryland) et Alexeï Ferapontov (Université de Brown), a développé le sous-programme Exotica.

Le volume de données collectées quotidiennement par les expériences du LHC est énorme. Malgré les ressources informatiques considérables fournies par la Grille, une analyse sommaire de l’ensemble des données produites chaque jour à CMS nécessiterait au minimum deux jours. « Exotica intervient sur le « flux express », c’est-à-dire un volume restreint de données utilisé par les chercheurs pour contrôler le fonctionnement d’ensemble du détecteur, et qui représente environ 5% du flux total », précise Maurizio Pierini.

Le programme commence son analyse tous les soirs à minuit. Le matin suivant, les chercheurs reçoivent un rapport ne présentant que les événements exotiques inhabituels. Ce rapport ne retient généralement qu’une centaine d’événements, qui sont examinés par les dix personnes participant au projet. Les données sont ensuite lues grâce à l’écran de visualisation de CMS, qui produit une image à analyser.

Mais c’est quoi au juste, un événement « exotique » ou « inhabituel » ? « On applique un filtre qui concerne l’énergie (haute impulsion) et le nombre (grande multiplicité) des particules présentes dans les événements. Les phénomènes de haute énergie laissent présager de la nouvelle physique. Au début, en raison de l’augmentation rapide de la luminosité du LHC, Exotica a dû être réajusté pour éviter que l’échantillon d’événements ne soit trop important, poursuit Maurizio Pierini. Jusqu’à il y a quelque mois, nous recherchions des événements du Modèle standard, par exemple des désintégrations des bosons Z et W. Désormais, ce type d’événement est assez commun et Exotica est programmé pour déceler des phénomènes tout à fait inédits. Par exemple, pendant la première phase, le rapport signalait les événements présentant 2 muons et une énergie supérieure à 15 GeV ; aujourd’hui, le programme est configuré pour un minimum de 50 GeV ». À une telle valeur, on devrait pouvoir observer le boson de Higgs !

Exotica applique une procédure suivant un déroulement contraire à la méthode traditionnelle, qui est de produire les images finales après avoir analysé l’ensemble des données. Des statistiques déterminent alors l’« intérêt » à porter à un événement particulier. « Exotica, quant à lui, ne produit aucune statistique : il s’agit simplement d’un filtre numérique qui décèle les événements exceptionnels, et nous prévient en amont de tout comportement ou dysfonctionnement complexe et rare du détecteur. Cet outil a déjà été utilisé pour régler différents problèmes délicats apparus lors de la reconstitution d’événements. Exotica ne peut pas remplacer l’analyse des données mais nous permet de repérer les événements inattendus, qui devront faire l’objet d’une analyse approfondie pour nous permettre de comprendre le processus dans son intégralité », conclut Maurizio Pierini.

par Francesco Poppi