Le coin de l'Ombuds : faire preuve de «sensemaking*» dans des décisions éthiques

Dans cette série, le Bulletin a pour but de mieux expliquer le rôle de l'Ombuds au CERN en présentant des exemples concrets de situations de malentendus qui auraient pu être résolues par l'Ombuds s'il avait été contacté plus tôt. Notez que les noms, dans toutes les situations que nous présentons, sont imaginaires et utilisés dans le but de simplifier la compréhension.

 

Prendre des décisions éthiques représente souvent un dilemme qui demande une connaissance et une représentation appropriée de nombreuses informations, ainsi qu’un jugement intuitif des conséquences potentielles. Beaucoup de pression est exercée sur les responsables d’une organisation, qui sont en charge de projets, de partenariats et d’individus. Certaines contraintes, personnelles, contextuelles et environnementales peuvent influencer négativement toute décision en altérant la conscience éthique et le jugement. En créant des modèles mentaux compensatoires, les techniques de Sensemaking* servent à contrebalancer ces contraintes qui restreignent la recherche d’information et son évaluation, et conduisent à de médiocres décisions.

Par exemple, des réactions émotionnelles peuvent influencer négativement des décisions éthiques et appellent des tactiques compensatoires spéciales, telles que le contrôle des émotions, un réexamen de notre processus cognitif, ou des techniques de relaxation. Toutes ces techniques peuvent être apprises. Des capacités de réflexion sur soi, ainsi qu’une conscience de soi éveillée peuvent améliorer la prise de décisions éthiques, en aidant chacun à réfléchir sur ses motifs personnels et ses expériences précédentes. Toute décision éthique devrait également tenir compte des conséquences potentielles. Certains modèles mentaux peuvent aider : se focaliser sur un nombre restreint de questions essentielles, en identifier les plus critiques, et considérer des conséquences différentes. Les leaders doivent également être conscients de leurs préjugés lorsqu’ils ont affaire à des crises interpersonnelles. Les techniques qui développent une intégration de l’information exacte et neutre sont également favorables aux décisions éthiques.

Considérons alors une situation identique entre un superviseur et un supervisé, mais gérée suivant deux stratégies différentes : l’une incluant un contrôle émotionnel, une réflexion intérieure et une intégration correcte de l’information ; et l’autre entachée par des limitations cognitives. Mais d’abord, plantons le décor :

Max** est le chef d’une grande unité du CERN et est responsable de toutes les opérations connectées aux infrastructures techniques et scientifiques du Laboratoire. Beaucoup de personnes ont confiance en ses décisions, dont la plupart ne peut souffrir aucun délai. Max est constamment sous pression, écrasé par le poids de ses responsabilités et par l’urgence dans laquelle il doit agir. Dans un tel contexte, Diana**, l’une de ses supervisés, fait irruption dans son bureau sans prévenir et commence à se plaindre de plusieurs personnes de son groupe qui font des erreurs constantes dans la maintenance, à tel point qu’elle commence à croire qu’ils le font exprès, pour se venger de sa récente décision de changer le calendrier des astreintes. Cela met en danger tout le programme scientifique du CERN, aussi Diana requière-t-elle une action immédiate de la part de son superviseur.

[Cas 1] Immédiatement, le rythme cardiaque de Max s’accélère, il a le sentiment qu’il doit agir sur-le-champ. Max n’apprécie pas Diana, qu’il trouve distante et arrogante, aussi n’est-il pas surpris du mécontentement observé au sein de son équipe. Ainsi, lorsque Diana commence à lui expliquer ce qu’il se passe, Max l’interrompt en lui disant qu’il se fiche des détails, qui ne sont pas de sa responsabilité, qu’une telle maintenance est prioritaire, et que par conséquent, Diana doit satisfaire les requêtes de son équipe de façon à éviter tout arrêt technique. Max signifie également à Diana, en lui montrant la porte, qu’il serait inutile d’en discuter davantage. À ce point, Diana se sent totalement rejetée et désapprouvée par son équipe… et a, de plus, un sérieux problème de maintenance et de direction. Il est à peu près garanti que les opérations stopperont bientôt, ce qui ne fera qu’aggraver encore leur dispute.

[Cas 2] Max prend une grande inspiration et prie Diana de s’asseoir. Voilà une bonne occasion de ramener gentiment Diana à la réalité de son job, et de la dissuader d’avoir toujours son nez fourré dans son ordinateur portable, même pendant les meetings, ce que Max n’apprécie pas du tout (comme si le meeting était si ennuyeux que Diana ne pouvait y prêter attention).
Par le passé, lorsqu’il était directement en prise avec les opérations, Max avait connu des circonstances similaires, aussi comprend-il le stress de Diana. Il la prie alors de lui raconter tranquillement toute l’histoire. C’est un dilemme : d’un côté, Diana n’a pas tort avec sa modification du calendrier, cela va dans le sens d’une maintenance plus efficace, ce qui est absolument nécessaire ; d’un autre côté, son équipe n’est pas prête à l’accepter venant de Diana, car cela diminue leur nombre d’heures supplémentaires, et donc leur salaire. L’autorité de Diana aussi est en question. Que va-t-il se passer si Diana n’est pas soutenue, et si son équipe comprend que cette dernière peut obtenir n’importe quoi juste en mettant la pression ? Max ne dispose de personne d’autre si Diana s’effondre. Il ne dispose pas non plus d’une autre équipe. Max propose alors à Diana d’évaluer quelles pourraient être les conséquences d’une action donnée, et quelle solution serait la plus favorable, bien qu’imparfaite. Après deux heures durant lesquelles ils passèrent en revue tous les éléments, les solutions et les conséquences, ils purent prendre une décision éthique : Diana remodèlerait le calendrier dans l’esprit d’améliorer la performance, mais tout en limitant au maximum les pertes de salaire provenant des heures supplémentaires. Le nombre de personnes qui n’accepteraient toujours pas le scénario, et à qui il faudrait l’imposer, est suffisamment bas – et ils seront finalement probablement convaincus par leurs collègues. Max et Diana tombent d’accord : ils ont trouvé la meilleure solution possible. Ils partagent également le sentiment que leur relation de travail a été renforcée par cette crise.

Conclusion :

Souvent, les décisions difficiles posent un dilemme pour lequel il n’existe aucune solution parfaite. En ce qui concerne de telles décisions, tous les éléments doivent être pris en compte : les causes passées, les problèmes actuels, et les conséquences futures. Le contrôle des émotions, la réflexion sur soi, l’anticipation et une bonne intégration de l’information sont des éléments essentiels qui aident à prendre une décision éthique. Souvenez-vous qu’une discussion avec l’Ombuds, informelle et confidentielle, peut également permettre de formuler plus clairement une décision.

* Voir Journal of Business Ethics (2102) 107:49-64, C.E. Thiel, Z. Bagdasarov, L. Harkrider, J.F. Johnson and M.D. Mumford.

** Les noms et le scénario sont purement imaginaires.

Adressez-vous à l’Ombuds sans attendre !

 

par Vincent Vuillemin