Une politique des contrats qui ne nous satisfait pas
Depuis quinze ans la politique des contrats est parmi le « top 3 » des préoccupations des Cernois dans les enquêtes successives initiées par l’Association du personnel. En effet, dans la vie professionnelle, la possibilité d’avoir une visibilité sur les perspectives de carrière chez son employeur est le moteur de la loyauté et de la motivation. Par contre, la précarité dans la durée est toujours mauvaise conseillère et à l’origine d’anxiété et de conflits, voire de problèmes de santé. Un bon employeur se doit d’offrir une approche équilibrée entre ses besoins et ceux de ses employés.
Actuellement, la politique des contrats, décrite dans la Circulaire administrative n° 2, prévoit qu’en général les membres du personnel obtiennent un contrat initial de durée limitée (LD) de cinq ans. S’ils désirent rester dans l’Organisation, ils ont la possibilité, normalement une fois par année et avant la fin de leur contrat LD, de postuler sur un poste à long terme ouvert à cette époque. Tous les candidats à l’un de ces postes devront passer devant un Comité d’évaluation pour l’octroi d’un contrat de durée indéterminée (IC), qui choisira le titulaire qui occupera le poste à long terme et dont le contrat LD sera transformé en IC.
Cette politique, qui laisse le membre du personnel pendant presque cinq ans dans l’inconnu, garantit une flexibilité trop grande à l’Organisation et reporte de manière trop importante précarité et insécurité sur le seul dos du titulaire.
Attribution d’un IC en 2012
L’année 2012 est la première année où ne subsiste plus qu’un seul exercice CCRB (sessions du Comité d’évaluation pour l’octroi d’un contrat de durée indéterminée). Ainsi, en automne, un certain nombre de postes IC seront ouverts et les titulaires actuellement sur un poste LD ayant passé avec succès leur période probatoire, pourront y postuler(en fait, tous ces titulaires qui ont commencé leur contrat avant le 1er septembre 2011 ont reçu un courriel dans ce sens du département HR).
Alors qu'en 2007 et 2008 le nombre d’ouvertures de postes IC était d’environ une cinquantaine, en 2009, 2010 et 2011 il était trois fois plus important (cela reflétait en partie l’exercice d’internalisation en 2004 et 2005 de nos collègues travaillant en entreprise).
Pour cette année et les suivantes, on doit s’attendre à l’ouverture d’un nombre de postes IC nettement inférieur. Cela est avant tout dû à la volonté de la Direction de conserver le ratio du nombre de contrats IC sur le total de l’effectif des titulaires (IC+LD) inférieur à 75% (ce chiffre est passé de 68% en 2007 à 73% en 2011). Cela signifie, avec la contrainte du Conseil du CERN de plafonner les effectifs à 2250 FTA (plein temps actifs), que le nombre de postes IC ouverts correspond grosso-modo au nombre de titulaires IC partant à la retraite. Avec la démographie actuelle du personnel du CERN, ce chiffre tourne autour de 50 unités par année.
Ces trois dernières années, le CERN a recruté environ 200 personnes par an. Sachant cela, la Direction a annoncé aux délégués des États membres, lors du TREF du 30 mai 2012, que le taux de conversion LD vers IC serait d’environ 40% pour les prochains exercices. Cela mettra une pression énorme sur les Départements, qui devront se battre pour obtenir un « slot » IC et pouvoir ainsi garder des titulaires essentiels afin de garantir la qualité de service qui leur est demandée. Malheureusement, et nous le déplorons fortement, cette situation induira encore plus de précarité et d'insécurité, ce qui sera difficilement gérable pour les titulaires LD. En effet, même en donnant entière satisfaction, ceux-ci n'auront que très peu de visibilité sur la possibilité de poursuivre leur carrière au CERN.
Le dogme avant tout
Comme indiqué ci-dessus, la Direction se base sur des contraintes numériques auto-imposées (pas plus de 75% de contrats IC, 40% de taux de conversion, etc.) pour gérer l’ouverture de postes IC. Cela simplifie le travail des chefs de groupe et autres responsables hiérarchiques, qui peuvent facilement invoquer ces contraintes pour ne pas ouvrir de poste IC et donc ne pas garder un titulaire qui donne entière satisfaction dans son poste. Même dans les années précédentes, alors qu'un nombre relativement élevé de postes IC étaient ouverts, l’Association a déjà dû intervenir à plusieurs reprises auprès de la Direction pour résoudre des cas de personnes à qui l'on ne proposait pas de possibilité objective de rester dans l’Organisation, alors qu’elles y travaillaient, de fait ou de jure, depuis des décennies. Ces personnes, dont l'âge approchait ou dépassait la cinquantaine, n’avaient donc que des perspectives fort limitées de retrouver un travail ailleurs. L’absence de l’élément de responsabilité sociale dans la politique des contrats actuelle est inacceptable. Plutôt que de n'être qu’un coussin de paresse pour les superviseurs se limitant à la seule vue utilitaire dans le choix des postes IC à ouvrir, la politique des contrats doit inclure un élément de justice sociale qui lui fait cruellement défaut aujourd’hui.
« Retour dans les États membres » : un faux problème
Depuis trente ans, le nombre de titulaires continue de décroître (de plus de 3500 en 1982 à quelque 2250 titulaires en 2012). Pendant ce temps, le nombre de temporaires (en 2011 il y avait 477 boursiers, 306 associés, 288 étudiants et 21 apprentis) et utilisateurs (en 2011 ils étaient 10388) n’a cessé d’augmenter, preuve de l'énorme succès et de l'attractivité du CERN en tant qu'Organisation scientifique internationale. Aujourd’hui la charge de travail des titulaires a atteint un point critique. Ils garantissent un support de qualité au nombre sans cesse croissant d'utilisateurs, organisent l’encadrement et la supervision du travail du personnel temporaire pour tirer le meilleur parti de leur intégration dans les équipes du CERN et assurent la sécurité des installations et des infrastructures. L’érosion continue des titulaires doit être stoppée et cette tendance inversée, afin de redonner au CERN les ressources appropriées en personnel lui permettant de continuer à fournir un haut niveau de service à la communauté de la physique des hautes énergies, mais dans de meilleures conditions.
Comme nous le voyons, le CERN est très actif dans la formation des jeunes ingénieurs et techniciens, et plus généralement dans la formation continue des associés payés. Un effectif de 2250 titulaires participe à la formation d’un millier de personnel temporaire. En particulier celle des boursiers, environ 500 actuellement, qui font partie du personnel employé et sont garants d’un retour de l’expérience acquise au CERN vers les États membres. Pour l'Association, le calcul du taux IC, qui, dogmatiquement semble devoir rester inférieur à 75% pour garantir ce retour sur investissement des États membres, doit au moins inclure les boursiers. Cela réduirait le taux IC par rapport au total du personnel employé aux alentours de 60%. De plus, l’efficacité du service et l’expérience acquise par le titulaire sur une période prolongée doivent être prises en considération. Et cela sans oublier le volet social qui fait défaut aujourd'hui, avec la reconnaissance du dévouement dans la durée et de l’expérience au service de l’Organisation.
Vers une nouvelle politique des contrats
L’actuelle politique des contrats ne nous satisfait pas. Nous proposons depuis des années, mais en vain, une approche qui s’inspire de la situation qui prévalait voilà longtemps, où des postes de deux types étaient ouverts dès le recrutement initial: long-terme et court-terme.
En effet selon l'Association, afin d'offrir plus de visibilité et de prédictibilité aux titulaires au moment du recrutement, l’Organisation doit indiquer si le poste à pourvoir correspond à une activité à long terme ou à court terme. Pour un poste long-terme, un contrat LD initial de trois ans est offert. Après une période probatoire de six mois, le membre du personnel pourra être considéré dès sa deuxième année par un comité d’octroi d’un IC qui aura seulement à statuer sur l’employabilité du titulaire à long terme. Par contre, pour un poste court-terme, limité également à trois ans maximum, le titulaire sait dès son recrutement qu’il n'obtiendra jamais un IC sur ce poste. Par contre, il peut postuler en interne à tout poste long-terme qui est publié. S’il est retenu, ses années passées en poste court-terme doivent pouvoir être prises en compte afin d’obtenir un IC plus rapidement.
Une telle politique offre une meilleure clarté et réduit la précarité pour les membres du personnel dès le recrutement. Il permet également de mettre en évidence une certaine analogie des postes boursiers et ceux à court terme afin de montrer clairement l’engagement du CERN pour la formation des jeunes spécialistes dans l’espace technologique d’excellence en Europe. Toutefois, pour que cette politique soit efficace, une base solide de personnel permanent et expérimenté est nécessaire. Préparer l'avenir nécessite de garder à tout prix l'expérience « maison », en ouvrant un nombre adéquat de postes long-terme (qui mènent à l'IC, sauf défaillance du titulaire). Cette approche doit permettre à la grande majorité des titulaires engagés sur un tel poste, et qui ont fait preuve des qualités professionnelles requises, de rester dans l'Organisation.
En attendant une (R)évolution dans ce sens, l’Association va interroger la Direction sur les raisons qui la poussent à ne pas augmenter le nombre de postes IC en faisant évoluer le ratio de contrats IC/LD vers 80/20, qui nous semble plus approprié pour une organisation scientifique comme le CERN.