Notre première priorité

Après trois ans d’exploitation du LHC, nous n’en sommes encore qu’aux prémices d’un long programme de recherche auprès de notre installation phare, et j’espère que l’on se rappellera du 4 juillet 2012 comme une date parmi d’autres au chapitre des nombreuses découvertes historiques qui vont suivre dans les prochaines années. La pleine exploitation du LHC reste la première priorité du CERN pour les dix ans à venir, voire plus. À l’heure où les spéculations vont bon train sur les futures installations possibles suite à la découverte d’une nouvelle particule aux caractéristiques compatibles avec celles du Higgs, il est fondamental de le rappeler. Pour cela, il faudra bien sûr poursuivre notre collaboration à l’échelle planétaire, et il est essentiel que le CERN travaille de manière constructive avec d’autres régions.

 

Il importe de regarder devant nous, d'autant qu’en physique des particules, la réalisation de nouveaux projets est un long processus, et que notre discipline devient par nature de plus en plus mondiale. C’est la raison pour laquelle la communauté européenne de la physique des particules s’attèle à présent à mettre à jour sa stratégie à long terme. Regarder devant nous nous a permis d’être prêts sur le plan technologique pour construire le LHC lorsque le moment a été propice, au milieu des années 1990, pour solliciter un financement auprès de nos États membres. Et regarder devant nous a permis à la technologie du collisionneur linéaire d’arriver au stade où une telle machine pourrait être construite aujourd’hui s’il y avait une volonté politique en ce sens.

C’est ce genre d’anticipation qui, associé au nouvel élan apporté par la découverte annoncée en juillet par ATLAS et CMS, a conduit les physiciens japonais à dire qu’ils étaient prêts à construire un collisionneur linéaire « usine à Higgs ». Le Japon a défini récemment sa stratégie pour la physique des particules et fait du collisionneur linéaire sa première priorité. La nouvelle a été annoncée lors de la réunion consacrée à la stratégie européenne pour la physique des particules, à Cracovie, en septembre ; et, lors de ma récente visite au Japon, j’ai pu constater que les plus hauts milieux politiques et scientifiques s’en faisaient l’écho.

Le Japon propose d’accueillir un collisionneur linéaire qui serait construit en deux étapes : une usine à Higgs, puis une machine de plus haute énergie. L’essentiel du financement serait apporté par le Japon, le reste par d’autres régions du monde. Ce serait un projet audacieux pour le Japon, mais, même si sa construction devait commencer demain, il faudrait une décennie avant qu’une telle machine ne soit opérationnelle : elle entrerait en service au moment où le LHC aurait atteint les deux tiers de sa durée de vie opérationnelle.

On me demande souvent quelle est ma position à l’égard de la proposition japonaise et je réponds que nous devons attendre que le processus de mise à jour de la stratégie européenne pour la physique des particules soit parvenu à terme. L’engagement de l’Europe auprès d’autres régions, que ce soit pour l’exploitation du LHC ou pour la participation de ce continent à des projets menés ailleurs dans le monde, est l'une des grandes questions à l'étude par le Groupe sur la stratégie européenne. Toutes les options - collisionneur de leptons, collisionneur électron-proton, Super LHC, et autres ambitieuses installations neutrino - doivent être examinées par ce groupe et synthétisées dans une proposition cohérente qui sera présentée au Conseil du CERN pour discussion en mars, et pour approbation en mai. En mai, la session du Conseil se tiendra à Bruxelles, ce qui permettra de présenter la stratégie aux ministres européens de la science réunis pour le Conseil européen compétitivité. En attendant, la communauté mondiale de la physique des particules va continuer à savourer les performances du LHC, de ses expériences et de son informatique, permettant de récolter une riche moisson de nouveaux résultats. 

Rolf Heuer