Rencontre avec Cédric Villani

Le 21 mai dernier, le CERN a eu le plaisir d’accueillir le mathématicien Cédric Villani dans le cadre du cycle de conférences organisées par le Groupement des Français du CERN. Le Bulletin du CERN était sur le coup. Rencontre.

 

Cédric Villani (à gauche), au SM18, aux côtés de Frédérick Bordry, chef du département Technologie du CERN. Cédric Villani est directeur de l’Institut Henri Poincaré et professeur à l’Université Claude Bernard de Lyon. Il a été décoré de la médaille Fields en 2010 pour ses travaux sur l’amortissement de Landau et l’équation de Boltzmann.

Bulletin du CERN : C’est votre première visite au CERN... Verdict ?

Cédric Villani : Ce fut instructif et émouvant, à la fois à travers les recherches théoriques que le CERN permet, mais aussi par l'exploit technologique qu'il représente – une véritable œuvre d'art technologique !
 

Bulletin du CERN : Vous travaillez actuellement sur des problèmes de géométrie riemannienne. Ces travaux ont-ils un lien avec les recherches menées au CERN ?

Cédric Villani : Toute ma carrière de physique mathématique est bâtie sur des problèmes de physique classique, problèmes pour lesquels on n’a pas besoin de mécanique quantique, de relativité, d’infiniment petit ou d’infiniment grand. En ce sens, mon travail est complètement étranger à ce qu’il se passe au CERN. Il n’empêche, une page de l’histoire de la physique s’écrit ici actuellement, et on ne peut que s’y intéresser.


Bulletin du CERN : Le CERN jouit d’un environnement de travail pour le moins cosmopolite. Pensez-vous que ce soit un atout pour la recherche scientifique ?

Cédric Villani : La coopération européenne trouve tout son sens quand il y a un gros projet à réaliser, pour lequel il faut vraiment mettre des compétences en commun : c’est le CERN, c’est ITER, c’est l’ESA… D’ailleurs, le CERN est un très bel exemple de ce que peut faire l’Europe quand elle unit ses forces.


Bulletin du CERN : La découverte du boson de Higgs couronne de nombreuses années de recherche. Quel est votre sentiment à ce sujet ?

Cédric Villani : La découverte du boson de Higgs est un accomplissement extraordinaire ! La vérification de cette théorie a nécessité la mise en œuvre de moyens considérables, c’est assez impressionnant, toute cette technologie mise au service de l’esprit humain. Si on veut être un peu grandiloquent, on dira que c’est un vrai triomphe de l’esprit humain sur l'incompréhensibilité du monde. Après, ceux qui sont critiques diront que c’est assez décevant finalement, car c’est exactement comme on l’avait prévu. Qu’est ce qu’on va faire maintenant ?! Pour ça, je fais confiance à mes collègues des hautes énergies, ils trouveront bien de quoi s’occuper, et des théories passionnantes à tester.


Bulletin du CERN : Si vous pouviez lever le voile sur un mystère de physique mathématique, lequel choisiriez-vous ?

Cédric Villani : Très certainement celui du changement d’état. Quel en est le ressort mathématique ultime, voilà une question essentielle. C’est un problème que je ne pose pas sous la forme « oui ou non » - on sait que les changements d’états se font - c’est plutôt « comment ? ». Pour les mathématiciens, cette question est souvent plus importante : « Pourquoi tel phénomène est vrai ? », plutôt que « Ce phénomène est-il vrai ? ».


Bulletin du CERN : Et si vous n’aviez pas fait de mathématiques ?...

Cédric Villani : Mon amour d’enfance était la paléontologie. Cette discipline est très difficile, très fastidieuse. Imagination, ténacité, rigueur : ce sont les trois qualités du paléontologue, comme du mathématicien. En mathématiques, il faut peut-être mettre l’imagination en premier ; en paléontologie, c’est sans doute la ténacité.

Propos recueillis par Anaïs Schaeffer