Empâté, vieillissant et moins vif

L’image de l’Univers a changé depuis la publication des résultats de Planck en mars dernier. Il y a un an, la découverte du boson de Higgs a prouvé l’existence de « champs scalaires » fondamentaux – qui sont l’explication la plus vraisemblable de la façon dont l’Univers a évolué depuis le Big Bang jusqu’à son état actuel. Lors d’un atelier mené au sein de l'unité Théorie du CERN, cosmologistes et physiciens des particules ont confronté leurs points de vue et exploré de nouvelles voies dans la perspective d’une collaboration renforcée.

 

Les anomalies mises en lumière par Planck. Photo : ESA et la collaboration Planck.

« Planck donne de l’Univers une image peu flatteuse, fait remarquer Daniela Paoletti, membre de la collaboration Planck et chercheuse à l’Institut national italien d’astrophysique, à Bologne. Nous savons maintenant que l’Univers est plus “épais” que ce que nous pensions, car il contient plus de matière noire que ce qui avait été calculé précédemment ; il est aussi plus vieux de quelques centaines de milliers d’années, et son expansion est plus lente que prévu. »

De quoi l’Univers est-il vraiment fait ? Pourquoi les galaxies sont-elles réparties de cette façon ? Quelle est l’origine de l'énergie noire ? Quel est le rôle du boson de Higgs dans la formation et l’évolution de l’Univers ? Pourrons-nous observer les ondes gravitationnelles primordiales ? Telles étaient, parmi d’autres, les questions dont ont débattu les scientifiques participant à l’atelier sur la cosmologie et la physique fondamentale avec Planck, qui s’est tenu au CERN du 17 au 28 juin.

Cette rencontre aurait pu sembler un peu inhabituelle il y a quelques années, alors que les deux extrêmes – la physique des particules, qui étudie l’infiniment petit en ayant recours à d’énormes accélérateurs, et la cosmologie, qui étudie l’infiniment grand à l’aide de satellites en orbite à des distances de plus d'un million de kilomètres de la Terre, étaient pratiquement considérées comme des disciplines distinctes. « Nous observons la nature selon deux angles différents, et avec des instruments différents, mais les résultats récents confirment que nous regardons dans la même direction, explique Julien Lesgourgues, de l’unité Théorie du CERN, membre de la collaboration Plank, l'un des organisateurs de l'atelier. Le but principal de cette initiative est de stimuler les interactions entre participants. À cette fin, le programme des conférences est léger, et plusieurs salles et espaces de bureau sont mis à disposition pour des séances de discussion. »

L’un des débats les plus importants a porté sur le rôle du boson de Higgs dans l'évolution de l’Univers. Les résultats de Planck, publiés en mars dernier, ont confirmé que la théorie la plus vraisemblable pour décrire les premiers moments de l'Univers est un modèle dans lequel un champ scalaire – c'est-à-dire un champ dont la valeur est la même quelle que soit la direction selon laquelle nous le mesurons – déclenche l'expansion très rapide et puissante de l’Univers primordial connu sous le nom d’« inflation ». Le Bulletin a déjà évoqué la possibilité que le boson de Higgs, qui correspond au premier champ scalaire fondamental découvert dans la nature, ne soit autre que l’inflaton, et un grand nombre de scientifiques se sont penchés sur la question. « Les données actuelles ne nous permettent pas de déterminer si le boson de Higgs et l’inflaton sont deux particules distinctes ou s’ils ne font qu’un. Mais elles sont certainement compatibles avec l’idée d’une inflation par le Higgs », explique Julien Lesgourgues.

Le meilleur des résultats de Planck pourrait être encore à venir en 2014, avec la deuxième publication de données ; à ce moment, les scientifiques auront également exploré les propriétés de polarisation du rayonnement cosmologique diffus, qui est comme l’écho du Big Bang. « Les effets des ondes gravitationnelles primordiales, celles produites pendant les premiers moments après le Big Bang, sont marqués dans le rayonnement que nous observons aujourd’hui, et Planck devrait être en mesure de les détecter », explique Martin Kunz, cosmologiste à l’Université de Genève, l’un des participants à l’atelier.

Cet atelier intense a été une très bonne occasion pour des scientifiques des deux extrémités du spectre de la recherche de procéder à un échange de vues et de prévoir les collaborations futures. Benjamin D. Wandelt, chercheur à l’Institut d’astrophysique de Paris, a ainsi résumé le sentiment général : « Les douze derniers mois ont été très exaltants pour les cosmologistes et les physiciens des particules. Nous sommes en train de vivre ce dont nous avions rêvé quand nous étions étudiants… »

par Antonella Del Rosso