Quelles ont été les raisons qui ont permis au CERN de devenir le meilleur centre de recherche fondamentale du monde ?

La question est ambitieuse et complexe, elle n’aura donc pas des réponses précises mais des suppositions raisonnables.


Il faut commencer par la « Convention du CERN » imaginée par les fondateurs juste après la deuxième guerre mondiale, théâtre d’atrocités innommables entre nations, ethnies et systèmes politiques.

Témoins de ces atrocités, les pères fondateurs de la « Convention du CERN » ont introduit plusieurs principes particulièrement efficaces pour le succès de l’Organisation naissante.

PREMIER PRINCIPE :

« Le CERN devra être ouvert aux scientifiques de toutes les nations indépendamment de leurs systèmes de gouvernement. »
Ce principe a permis d’instaurer un esprit de tolérance et de liberté de pensée. Ce fut une clef fondamentale pour faciliter une collaboration mondiale ouverte, libérée de toute idéologie partisane.

DEUXIÈME PRINCIPE :

« Le CERN sera financé par des fonds publics indépendants des intérêts privés. »

« Chaque État contribuera avec un pourcentage de son budget national. » Ce principe a donné la possibilité de travailler dans l’intérêt général de l’Europe.

TROISIÈME PRINCIPE :

« Le siège du CERN sera en Suisse, petit pays neutre au centre géographique de l’Europe. »Si le siège avait été choisi dans un des grands pays anciennement belligérants, tôt ou tard l’esprit d’intérêt national aurait prévalu.

QUATRIÈME PRINCIPE :

« La recherche du CERN ne produira que de la connaissance fondamentale qui sera accessible au monde entier sans restriction. »

Ces quatre principes ont donné au CERN sa force essentielle : être une Organisation au-dessus des intérêts particuliers, c’est-à-dire :

travailler pour la connaissance au service du partage.

Nous verrons par la suite que cet esprit a permis au CERN de faire le LHC et de devenir le centre de recherche en physique fondamentale le plus important du monde.

Les grandes puissances de l’époque avaient un autre principe :

travailler pour le prestige au service du pouvoir.

La différence entre ces deux philosophies est énorme. Travailler pour la connaissance et le partage a permis de se faire aider par la communauté scientifique de tous les centres de recherche de physique fondamentale au profit de la connaissance planétaire.

Pour revenir à la Convention, les quatre principes précités étaient accompagnés par plusieurs autres règles de fonctionnement du processus décisionnel très importantes comme :

Le Conseil du CERN

Il est constitué de deux décideurs par État membre : un scientifique reconnu et un responsable politique.

Le Comité des Directives Scientifiques

Les membres de ce Comité sont choisis parmi les physiciens de la communauté des chercheurs en physique des particules les plus éminents du monde. Les objectifs fixés par ce dernier Comité ont toujours été à la limite de l’impossible au regard de la technologie existante du moment.

Le fait de se fixer des objectifs techniquement très ambitieux, donnait une formidable motivation à tout le personnel du CERN et permettait de sélectionner les dirigeants, à l’intérieur de l’Organisation, en fonction de leurs capacités à faire avancer les projets.

En outre, atteindre des objectifs ambitieux au-delà de la technologie connue, signifiait produire des connaissances fondamentales nouvelles et une foule d’innovations techniques très utiles à l’économie des Pays membres où les instruments étaient construits.

POURQUOI AVOIR DES VISITEURS ?

C’est la question fondamentale, car le CERN a été conçu pour que les universités européennes puissent être à la pointe de la connaissance sans être à la merci des pays plus avancés. Le CERN leur a donné accès à des outils de recherche de pointe et ceci a permis à l’Europe de garder sur son sol les meilleurs cerveaux. 

Maintenir nos universités au plus haut niveau était la meilleure garantie d’indépendance politique, économique et sociale de l’Europe. 

LES DIX PREMIÈRES ANNÉES

De 1954 à 1964, les deux premiers accélérateurs ont été construits et utilisés avec succès.


Le Laboratoire s’étant doté de plusieurs ateliers dans tous les corps de métiers pouvait concevoir et construire ses propres prototypes d’instruments sans faire appel à l’industrie si elle n’était pas en mesure de les fabriquer. Déjouant tout pronostic, notre communauté, libérée de la bureaucratie nationale et des anciens préjugés, a donné le meilleur d’elle-même dans la joie. L’élimination de l’esprit d’élite a permis une collaboration amicale très efficace entre ouvriers, techniciens, ingénieurs et physiciens. Chacun pouvait contribuer à l’œuvre commune avec le sentiment d’être le porte-parole de son pays et de sa civilisation.

Après une dizaine d’années d’étude et de travail en commun, l’expérience acquise était si forte que les instances de la Direction du CERN décidèrent d’entreprendre la construction du premier accélérateur collisionneur du monde, les ISR. 

LES GRANDES RÉALISATIONS DU CERN

Parmi les réalisations qui ont fait la renommée du CERN, citons d’abord :

Les ISR (Intersecting Storage Rings)

Ce projet comportait plusieurs défis : un ultravide inédit à l’intérieur de la chambre à vide, alors que personne ne savait le faire, une parfaite connaissance de l’optique magnétique, la construction de groupes radiofréquence très performants et le contrôle à distance de l’ensemble de la machine. Malgré ces formidables difficultés, le 27 janvier 1971 les ISR ont parfaitement fonctionné. Ces réussites ont aussi encouragé la construction de la Communauté Économique Européenne (CEE) dont nous étions devenus le fer de lance et l’exemple à suivre par les autres Organisations européennes comme : l’Agence spatiale européenne (ESA), l’Observatoire européen austral (ESO) et le Laboratoire européen de biologie moléculaire (EMBL).

Les physiciens visiteurs venus des Pays membres pour travailler au CERN en déplacement ont eu beaucoup de mérite. Ils ont eu une vie très dure ; ils devaient à la fois travailler loin de chez eux et en même temps enseigner la physique dans leurs universités pour former les nouvelles générations de scientifiques.

Le SPSC (Super Proton Synchrotron Collider)

Ce magnifique instrument, voulu par Carlo Rubbia et obtenu en transformant le SPS en collisionneur, a été la véritable clef de voûte qui a lancé le CERN devant tous les autres centres de recherche et a produit nos deux premiers prix Nobel : Carlo Rubbia et Simon van der Meer.

Le LEP (Large Electron Positron)

La construction du LEP a donné naissance à des expériences comportant des centaines de physiciens en provenance de tous les pays ayant une faculté de physique en mesure de participer. L’appareillage des expériences étant pris en charge par les universités, tous les pays du monde pouvaient théoriquement participer. Ce fut le début du partage au-delà de l’Europe. Le SPSC et le LEP produisirent une quantité de données trop nombreuses pour être transmises à l’analyse des universités par l’envoi de bandes magnétiques. Alors le WEB fut inventé et mis à disposition de tous. La supraconductivité des aimants, le système de pompe Getter (NEG) et une quantité d’autres innovations furent produites et partagées par les États membres.

Le LHC (Large Hadron Collider)

La réalisation de ce dernier a été longue. La décision politique de le faire, quand et où le faire, a été la plus difficile à obtenir ! Mais il est vrai que les difficultés techniques prévisibles dépassaient l’entendement. Tous les éléments constitutifs de la machine impliquaient des innovations inimaginables au départ. Les plus invraisemblables étant :

-    la conception et la construction de milliers d’aimants supraconducteurs devant produire un champ magnétique faisant circuler un courant de 20000 A ; pour obtenir un tel résultat, il fallait refroidir des milliers d’aimants à une température de 1,8 degré Kelvin sur 27 km de tunnel ;

-    le refroidissement à la température cryogénique de 1,8 degré Kelvin avec la liquéfaction de plusieurs tonnes de gaz hélium alors que l’hélium liquide ne descend qu’à 4 degrés Kelvin. Il fallait encore descendre à 1,8 Kelvin pour que l’hélium devienne superfluide et puisse circuler à l’intérieur des aimants ;

-    l’invention de détecteurs capables de résister aux effets des radiations et suffisamment rapides pour trier l’énorme flux d’événements prévus ;

-    l’analyse des quantités inimaginables d’événements produits dans les collisions, défi principal des physiciens expérimentateurs ; cette formidable difficulté a pu être surmontée grâce à une invention géniale : le système « Grille de calcul»(*).

Les accélérateurs collisionneurs ont produit non seulement une pluie de retombées technologiques impressionnante, mais ils ont été à l’origine d’une nouvelle façon de réaliser et de financer la recherche en physique des particules. 

L’appareillage nécessaire à la détection et à l’analyse des particules étant très complexe et coûteux, les nombreux éléments qui composent les immenses détecteurs souterrains sont conçus et construits par l’ensemble des chercheurs participant à la future expérience.

Dans une seule expérience, jusqu’à 4000 spécialistes : physiciens, ingénieurs, informaticiens, mathématiciens, chimistes, techniciens de toutes les technologies existantes, en provenance d’Europe et de tous les autres Continents, intimement liés par un objectif commun, discutent durant des années et font construire des milliers de composants par leurs universités pour être finalement assemblés au CERN. Tous les domaines du savoir humain sont impliqués, y compris la science de la communication, les langues, la diplomatie, le transfert des technologies, les systèmes douaniers, etc.

Peut-on imaginer meilleure école où la théorie et le travail sont si intimement liés ? 

Lorsque le CERN enregistre un succès, c’est l’humanité toute entière qui s’en réjouit, c’est la connaissance qui avance et la paix et la tolérance qui gagnent.

Le CERN est un exemple merveilleux de collaboration, une école fantastique pour former les meilleurs cadres des universités de tous les pays participants ! 

Franco Francia

(*) https://cds.cern.ch/record/1994991?ln=en : Projet « GRID» : les informaticiens du CERN ont encore frappé... - REYKJAVIK CONFERENCE 2000 - UPDATE OF MAD COW DISEASE

par Staff Association