Prochain arrêt : l’espace

Mercredi 25 août, 6 h 30. Une foule inhabituelle se presse sur le tarmac de l’Aéroport international de Genève. Des dizaines d’employés de l’aéroport ainsi que quelques Cernois se sont rassemblés pour regarder atterrir le C-5 Super Galaxy de l’US Air Force, l’un des plus gros avions-cargos du monde. Parti d’Afghanistan la veille (où il avait ravitaillé un contingent de l'armée américaine), il a ensuite passé quelques heures sur une base militaire américaine en Irak avant de finalement atterrir à Genève pour une mission très spéciale : embarquer dans sa gigantesque soute le spectromètre magnétique Alpha (AMS-02).

 

Le 25 Août, après 11 heures de vol, le C-5 Galaxy de l'US  avec le Spectromètre Magnétique Alpha (AMS-02) à son bord, s'est posé au Centre spacial kennedy (KSC) en Floride, (Etats-Unis).

Avec ses 7,5 tonnes et ses 5 x 4 x 3 mètres, AMS-02 est l’un des instruments scientifiques les plus complexes jamais construit pour l’espace. Il a été assemblé et testé au CERN. Quelques aménagements auront été nécessaires pour qu’il puisse tenir dans la soute de la navette spatiale qui l’amènera vers la Station spatiale internationale (ISS) : ses systèmes, empruntés à la physique des particules, ont été réduits en taille et allégés par rapport à ceux utilisés habituellement en physique des particules. Heureusement, car, pour réussir à faire entrer le détecteur dans le ventre énorme du C-5, il a fallu retirer le couvercle. Il manquait 7 cm !

Une conférence de presse était organisée par le CERN, en collaboration avec l’Aéroport international de Genève. Les journalistes ont ensuite pu approcher le cargo et observer le chargement du détecteur dans le C-5 Super Galaxy mis à disposition par l’US Air Force spécialement pour l’occasion. « Notre mission, c'est de transporter à peu près n’importe quoi, n’importe où, n’importe quand, a expliqué Donald Erbschloe, responsable scientifique de l’US Air Force, lors de la conférence de presse. Amener ce gigantesque instrument scientifique jusqu’au Centre spatial Kennedy pour son dernier voyage dans l’atmosphère terrestre était un défi irrésistible. Depuis toujours, l’armée de l’air s’appuie sur la science, car le transport aérien suppose beaucoup de technologies. L’aviation s’est développée en même temps que la science. »

AMS-02 a été construit par une collaboration internationale regroupant 15 pays, principalement en Europe et en Asie. Il s’agit de la plus grande collaboration internationale jamais mise sur pied pour une seule expérience dans l’espace. « L’ISS est une plateforme spatiale exceptionnelle, qui servira d’infrastructure à AMS-02 dans sa quête d’une nouvelle physique et de phénomènes astrophysiques provenant de sources primaires à des millions d’années-lumière de notre galaxie », a expliqué le professeur Sam Ting, prix Nobel, à la tête de l’expérience, à la vingtaine de représentants de médias internationaux rassemblés lors de la conférence de presse.

L’espace est un lieu d’observation privilégié des flux de rayons cosmiques (raison d’être d’AMS-02) car les particules chargées qui les constituent ne peuvent traverser l’atmosphère sans être annihilées. Grâce à sa sensibilité et à son aimant qui produit un champ 4000 fois plus puissant que le champ magnétique terrestre, l’expérience AMS-02 a une chance de pouvoir observer des particules de matière noire directement depuis l’espace en étudiant la répartition des rayons cosmiques. Elle est donc complémentaire des expériences qui recherchent sous terre des particules de matière noire à même de pénétrer la roche, l’eau ou la glace sans être stoppées, et du LHC, qui produira des particules candidates pour la matière noire. Mais ce que l’on attend réellement d’AMS-02, ce sont des surprises, a souligné Roberto Battiston, porte-parole adjoint de l’expérience, lors de la conférence de presse. « En scrutant très attentivement l’espace avec un détecteur ultra-puissant pour observer quelque chose qui ne l’a encore jamais été, on pourrait avoir des surprises, et c’est là la raison de cette recherche. Nous nous appuyons sur les modèles théoriques existants, mais en réalité, nous recherchons quelque chose de nouveau ».

Le 26 août, à 11 h 18, heure de Floride, après 11 heures de vol, le C-5 Super Galaxy de l’US Air Force, avec AMS-02 et une quarantaine de membres de la collaboration à son bord, s’est posé sur le tarmac du Centre spatial Kennedy. « C’est une étape importante pour AMS-02 dans son long et passionnant voyage commencé il y a 15 ans », a déclaré Saoul Gonzales, du ministère américain de l’énergie. Au Centre spatial Kennedy, AMS-02 subira encore quelques tests dans le SSPF (Space Station Processing Facility) de la NASA, avant d’être lancé à bord de la navette spatiale Discovery pour sa mission dans l’espace. Si la date officielle de lancement est fixée à février 2011, le chef de l’expérience s’efforce d’obtenir de la NASA un créneau plus proche (décembre 2010) et la collaboration AMS-02 met les bouchées doubles pour que tout soit prêt pour un ultime chargement dans la navette le 15 novembre, afin de donner toutes ses chances à un lancement anticipé.

L’installation d’AMS-02 à l’extérieur de la station spatiale internationale, sur le côté droit de l’ossature, se fera à l’aide des bras robotiques de la navette et de la station. Une opération délicate qui sera réalisée par Roberto Vittori, astronaute de l’Agence spatiale européenne (ESA), colonel de l’armée de l’air italienne diplômé en physique (il fut étudiant de Roberto Battiston). Une fois arrimée à la Station spatiale internationale, l’expérience devrait fonctionner pendant toute la durée de vie de l’ISS et ne reviendra pas sur Terre. « Au cours des 20 prochaines années (durée de vie de l’ISS), il n’y aura qu’une seule grande expérience de physique dans l’espace et ce sera AMS-02. » C’est en ces termes que le professeur Ting a conclu la conférence de presse.



L’histoire d’AMS-02

Le long périple d’AMS-02 jusqu'à la Station spatiale internationale a commencé en 1994, sous l’impulsion du professeur Ting. En 1998, une première version d’AMS-02 a voyagé dix jours à bord de la navette spatiale Discovery (STS-91) et enregistré près de 100 millions de rayons cosmiques. Ce premier vol réussi ouvrait la voie à la poursuite d’une collaboration avec la NASA. Après l’accident de la navette Columbia, en 2003, tout le programme de vols de navettes spatiales fut remis en question par la NASA, tout comme le vol prévu pour le détecteur final d’AMS. En 2008, le professeur Ting a réussi à persuader le Congrès américain « qu’après avoir dépensé 100 milliards de dollars pour l’ISS, cela valait la peine de faire un effort pour y faire des expériences intéressantes. » L’an dernier, le Congrès a finalement approuvé le projet d’envoyer AMS-02 dans l’espace. En février dernier, après plusieurs mois de tests avec faisceaux utilisant la source de protons primaires du SPS, au CERN, le détecteur AMS-02 a été expédié à Nordwijk (Pays-Bas), où il a pris place dans la chambre d’essais thermiques sous vide de l’ESA. Ces tests approfondis ont joué un rôle capital dans la décision prise en juin de remplacer l’aimant supraconducteur d’origine par un aimant permanent d’une durée de vie plus longue.

par Paola Catapano