ISOLDE : la mégascience à l’échelle nano

De nouveaux matériaux qui pourraient remplacer les semi-conducteurs actuellement utilisés dans les Blu-ray et autres appareils électroniques, du silicium plus efficace et rentable pour une nouvelle génération de panneaux solaires, des techniques de recherche innovantes pour l’archéologie, la biophysique ou la biochimie... Toutes ces avancées sont le fruit d’études faisant appel aux interactions nucléaires hyperfines. Pour mener ces études, il est indispensable de disposer d’une grande variété de faisceaux d’ions radioactifs : au CERN, ces faisceaux sont produits par l‘installation ISOLDE.

 

Des étudiants de l'Université de Louvain et de l'ITN de Lisbone travaillent à ISOLDE sur une technique utilisée pour localiser les impuretés dans les matériaux.
Les interactions nucléaires hyperfines et leurs nombreuses applications ont été le thème central de la troisième conférence conjointe HFI/NQI (Joint International Conference on Hyperfine Interactions and International Symposium on Nuclear Quadrupole Interactions), organisée au CERN, du 12 au 17 septembre. Outre des exposés théoriques, la conférence a présenté les études menées sur les matériaux magnétiques, les semi-conducteurs, les films minces, les nano-structures et l’optique quantique, ainsi que des questions liées à l’archéologie, la biologie, la chimie et la médecine.

Des chercheurs de l'installation ISOLDE, le séparateur en ligne pour faisceaux d'ions radioactifs du CERN, ont participé activement à cette conférence. En effet, ISOLDE est unique par sa capacité à produire une large variété d’isotopes-sondes, couvrant une large gamme de demi-vies, à une intensité élevée. Ces radiosondes peuvent être utilisées à de faibles concentrations et n’altèrent pas la structure du matériau autant que les autres méthodes. « ISOLDE produit des isotopes, que nous utilisons comme sondes radioactives : une fois implantés dans un matériau, comme un solide supraconducteur ou une protéine, ils commencent à ressentir l’environnement local, et au moment de leur désintégration, fournissent de précieuses informations sur leur position dans le réseau cristallin du matériau », explique Karl Johnston, coordinateur pour la physique du solide auprès de l’installation ISOLDE, et l’un des organisateurs de la conférence.

Ces dernières années, les mesures d’interactions hyperfines réalisées parallèlement à des mesures de spectroscopie optique et de localisation dans le réseau cristallin ont apporté d’importants enseignements sur la structure des matériaux. Cette technique s’est révélée particulièrement efficace pour étudier la nature et l’origine des imperfections de la structure cristalline des semi-conducteurs, tels que ceux utilisés dans les cellules solaires. « Pour des questions de coût, la qualité du silicium utilisé pour les cellules solaires est d’un ordre de grandeur inférieur à celle du silicium utilisé pour les puces informatiques. On constate alors des problèmes d’efficacité en raison de la présence de défauts dans le réseau ; nous ne pourrons peut-être pas corriger ces défauts, mais en les comprenant, nous espérons pouvoir réduire leurs effets, et rendre le procédé plus efficace », confirme Karl Johnston.

Les radiosondes fournies par ISOLDE sont également utilisées pour étudier un matériau potentiellement très intéressant, l’oxyde de zinc (ZnO). « Pour les applications optoélectroniques, comme les lasers utilisés par les systèmes Blu-ray, l’oxyde de zinc est considéré comme un bon candidat pour remplacer le nitrure de gallium (GaN), utilisé à l’heure actuelle », explique Karl Johnston. « Alors qu’il est difficile avec le nitrure de gallium de se débarrasser des imperfections dans le réseau – ce qui rend coûteux la production de dispositifs de haute qualité – il est possible avec l’oxyde de zinc de produire des cristaux présentant peu de défauts. De plus, l’oxyde de zinc possède un rendement optique très élevé : si vous l’éclairez avec un laser, il va briller facilement », précise Karl Johnston.

L'oxyde de zinc a donc des propriétés extrêmement prometteuses, mais il semble qu’il est encore un peu tôt pour pouvoir l’utiliser. En effet, il est difficile de le doper de façon symétrique : le dopage N est déjà disponible, mais le dopage P s’avère extrêmement difficile à réaliser; or, les deux types de dopage sont nécessaires pour produire un dispositif utile tel qu'un transistor. En outre, certaines des propriétés magnétiques de l’oxyde de zinc, qui ont récemment été étudiées par Karl Johnston et ses collègues, ne semblent pas adaptées à une utilisation future du matériau en spintronique (voir l’encadré). « D'autres matériaux suscitent à présent l'attention de la communauté scientifique. À ISOLDE, 19 expériences sont soit déjà en train d’étudier ces questions, soit ont soumis des lettres d’intention pour le faire ; nous avons encore certainement beaucoup de choses à apprendre avec les interactions hyperfines », conclut Karl Johnston.


Spintronique

La spintronique (néologisme désignant l’ « électronique de spin ») est une technologie récente qui exploite, dans les dispositifs semi-conducteurs, le spin intrinsèque de l’électron et son moment magnétique associé, en plus de sa charge électronique fondamentale.

par Roberto Cantoni