Concerto pour le LHC

Une nouvelle œuvre musicale a récemment été composée à l’occasion du dixième anniversaire de GEANT, le réseau de communication paneuropéen à haut débit pour la recherche et l’éducation. Les noms des réseaux nationaux interconnectés via GEANT qui permettent d’échanger des données entre des instituts de recherche européens ont été convertis en musique. La technique, connue sous le nom de « sonification » permet de compléter la représentation graphique de données par des sons.

 

Du point de vue technique, convertir des informations textuelles ou numériques en signaux sonores revient à créer un graphe, à ceci près qu’un morceau de musique est composé de notes et de timbres au lieu de lignes et de points. Pour le physicien, deux conditions doivent être remplies pour qu’un ensemble de données puisse être représenté de manière correcte : l’unicité (une donnée doit être liée à un seul point ou son), et la covariance (le graphe ou la mélodie doit varier aussi rapidement que les données). En musique, l’utilisation de la fréquence, du timbre et du volume permet de remplir la deuxième condition. « Depuis le plus jeune âge, on nous apprend à analyser des données visuelles, mais on ne nous enseigne pas comment analyser des données auditives », explique Domenico Vicinanza, auteur de la chanson anniversaire de GEANT, qui travaille pour DANTE (voir encadré) en tant que chargé de support projet et chef de produit. « Pourtant, nous analysons en permanence des données auditives, à chaque fois que nous reconnaissons une voix au téléphone par exemple. L’oreille identifie naturellement des motifs, des structures et des séquences. Si l’on recherche une valeur particulière qui, pour une raison ou une autre, se démarque d’un ensemble de données, l’identifier sur un graphe peut être ardu, et il est parfois plus facile de reconnaître une fausse note ». En revanche, l’œil peut avoir une vue d’ensemble, laquelle est difficile à obtenir avec des sons. Aussi, l’analyse de données pourrait-elle être améliorée par l’utilisation combinée de graphes et d’une analyse auditive.

Grâce à la sonification, on peut envisager des stratégies visant à traduire des données en informations audibles, ce qui permettrait à des scientifiques non-voyants de réaliser des analyses de données exclusivement à partir de sons. « Par exemple, dans le cas d’un graphe illustrant l’évolution du prix du pain dans le temps, on pourrait utiliser une note plus aiguë pour un prix plus élevé. Une hausse brutale du prix se traduira par une montée dans l’aigu, explique Domenico Vicinanza. Dans ce cas, vous ne faites qu’utiliser l’aptitude de l’oreille à traiter des informations en séquence. Il est également possible de créer un son unique qui, comme un graphe, donne une vue d’ensemble instantanée de toutes les informations. Il s’agit alors d’encoder dans le spectre sonore (plutôt que dans la mélodie), les données », ajoute-t-il.

Les spécialistes de la sonification s’intéressent de près à la gigantesque quantité de données issues des expériences LHC, au point que plusieurs projets ont vu le jour ces dernières années. Domenico Vicinanza voit encore plus grand: au-delà de la sonification, il pense orchestration ! « J’aimerai donner un sens artistique aux données utilisées par les chercheurs en composant une œuvre pour quatuor à cordes, où chaque instrument de musique représenterait l’une des quatre grandes expériences LHC. Cela constituerait une métaphore de la collaboration scientifique et refléterait la complémentarité des expériences. Chaque instrument jouerait sa propre partition à partir des données d’une expérience, mais ce n’est qu’en écoutant les quatre voix ensemble que l’on pourrait apprécier l’intégralité et la beauté de la partition », poursuit Domenico Vicinanza. Voilà un projet qui sonne bien !


Domenico Vicinanza est diplômé de l’Académie de musique de Salerne (piano et composition). C’est là qu’il s'est découvert un intérêt pour la sonification de données alors qu’il enseignait la musique à des étudiants malvoyants. Dans le cadre d'un programme d'études supérieures mené au département d’informatique et de mathématique de l’Université de Salerne entre 2001 et 2006, il a mis au point différentes stratégies de sonification selon le type de données à traiter. Ces études l’ont conduit à collaborer avec l’Institut national de géophysique et de vulcanologie de Catane (Italie) en vue de développer une analyse auditive de données sismiques provenant de la région de l’Etna (Sicile). Il travaille à présent pour DANTE en tant que chargé de support projet et chef de produit. DANTE est une organisation à but non lucratif qui coordonne des projets à grande échelle cofinancés par la Commission européenne et travaille en partenariat avec des réseaux nationaux pour la recherche et l’éducation (NREN) dans toute l’Europe pour planifier, mettre sur pied et gérer des réseaux de pointe pour la recherche et l'éducation. Créée en 1993, DANTE a apporté une contribution fondamentale au succès de la mise en place d'un réseau paneuropéen pour la recherche et l’éducation. DANTE a mis sur pied et gère l’infrastructure de réseau GEANT pour la communication de données, essentielle au succès de nombreux projets de recherche en Europe.


par Francesco Poppi