Pour un puissant service public international
Les différentes organisations internationales et européennes basées en Europe emploient des dizaines de milliers de fonctionnaires publics internationaux et européens. Les membres du personnel de ces organisations sont soumis à divers régimes de droit juridique et doivent faire appel contre les décisions administratives avant d’aller aux différents tribunaux administratifs internationaux (e.g. TAOIT, TANU, TFPU, TAOCDE). CERN, une des organisations les plus importantes, se doit d’être à l’affut des derniers développements dans ce domaine. L’Association du personnel a donc envoyé des représentants à un colloque sur « les évolutions de la protection juridictionnelle des fonctionnaires internationaux et européens » qui a eu lieu au Luxembourg le 1 et 2 avril 2011.
Nous n’examinerons pas en détail les différents aspects des récentes évolutions dans les divers systèmes juridiques, qui ont été discutés pendant ce colloque (le compte rendu peut être consulté au Secrétariat de l’Association du personnel). Cependant, nous aimerions partager avec vous quelques idées de Paul Dühr, secrétaire général du Ministère des affaires étrangères du Luxembourg, qui ouvra ce colloque.
Il n’est pas facile d’être un fonctionnaire international ces derniers temps !
Sur la base de ses 25 ans de carrière diplomatique, dont la moitié auprès d’instances internationales, Mr. Dühr commença son discours avec le fait qu’il trouvait qu’aujourd’hui l’existence du fonctionnaire internationale est difficile. En effet, la diminution du personnel, la non-indexation des salaires, les contrats précaires, l’augmentation d’utilisation de sous-traitance, les attaques physiques et morales du personnel international et de leurs familles sont tous des difficultés auxquelles les fonctionnaires internationales sont de plus en plus exposés. La situation devient critique dans beaucoup de domaines et de lieux avec une volonté de réduire les budgets de plus en plus dans ces organisations internationales.
Des défis de tous parts
Il expliqua que la fonction publique internationale a des défis de tous parts.
Tout d’abord, il y a la crise financière de 2008 et ses conséquences. L’absence de régulation élémentaire ou de contrôle du secteur bancaire américain a plongé le monde occidental, et pas que lui, dans une crise économique sans précédent, synonyme de baisse de rentrées fiscales et donc de moyens à injecter dans l’administration publique nationale et internationale. Une telle situation se traduit presque automatiquement par une remise en cause des effectifs et des salaires, à tort ou à raison.
Puis, et plus préoccupant, cette situation de crise économique mondiale a favorisé un repli global sur soi de la part des pays, principaux acteurs économiques, jetant le doute sur l’utilité et l’efficacité même des instances internationales. Le réflexe est bien connu et s’observe malheureusement trop souvent. Lorsqu’un ou plusieurs États mettent en œuvre ou laissent se développer, dans un domaine donné, une politique qui nuit à la communauté internationale, ce ne sera finalement pas de leur faute, mais de celle d’une gouvernance globale défaillante. Le coupable idéal, dans ces cas-là, c’est le réseau d’instances internationales et son fonctionnariat. Un déni de confiance à leur égard qui, souvent, se traduit par une crise de confiance à l’intérieur même des organisations internationales.
Enfin, on a tendance à opposer, particulièrement lorsque la conjoncture économique est mauvaise, le secteur public et le secteur privé. Longtemps réservé au secteur public national, les adversaires de la fonction publique n’hésitent plus aujourd’hui à jeter l’opprobre également sur le secteur public international dans cette démarche démagogique, consistant à reprocher aux fonctionnaires, nationaux et internationaux, salaires trop élevés, avantages divers indus, inefficacité, arrogance et mauvaise gestion. D’après eux, seul le secteur privé peut garantir l’efficacité et un bon rapport qualité-prix, une sorte de vertu générale inhérente à l’initiative privée en quelque sorte. Bien sûr, les conditions de travail entre le public et le privé peuvent être comparées, en considérant les avantages et désavantages que représentent ces filières respectives. Il apparait que, trop souvent, on abuse de cette thématique dans un dessein politique, et que les discussions sur les conditions de travail ne sont qu’un prétexte. Cependant, cette rhétorique populiste laisse un goût amer aux serviteurs méritants de l’État et de la communauté internationale.
Aujourd’hui, comme hier, un service public international puissant et motivé est essentiel
Que de chemin parcouru depuis l’âge d’or du fonctionnariat international dans les années cinquante et soixante quand les organisations internationales étaient au cœur du progrès mondial et européen, de la croissance économique, du maintien de la paix et de l’intégration. Comment se fait-il qu’à une période où l’intégration régionale et la globalisation se développent, la reconnaissance du travail des fonctionnaires internationaux est si faible ?
Il est indispensable de remédier à cette situation. Un ordre international fondé sur la reconnaissance des valeurs essentielles, relayé par un réseau d’organisations internationales, multilatérales et régionales qui peuvent compter sur des agents compétents et motivés constitue la seule réponse possible aux problèmes que le monde rencontre aujourd’hui, comme hier. Seule une gouvernance globale structurée, dotée d’une administration à la hauteur, disposant de moyens, peut assurer à la communauté internationale de travailler dans le respect mutuel, d’aller au-delà des égoïsmes nationaux et d’échapper aux tentations de repli sur soi.
Espérons que ces mots avisés de Paul Dühr trouveront écho dans les discussions avec les représentants des États Membres dans les prochaines réunions au CERN ainsi que dans les nombreuses organisations internationales, en Europe ou ailleurs.
The English text, published in the Echo n°156, can be found at
https://cdsweb.cern.ch/journal/CERNBulletin/2012/35/Staff%20Association/1474258?ln=en