Edgar Asséo (1928-2014)
Après avoir étudié l'électronique à Grenoble, et débuté sa carrière d'ingénieur chez Brown-Boveri à Baden, Edgar est arrivé à Genève pour travailler à la SIP, la Société des Instruments de Physique. Il a rejoint le CERN en 1964, dans la division du Synchrotron à Protons, affecté au groupe « Contrôles ».
En ce temps-là, le PS était une jeune machine de 5 ans d'âge, le plus puissant accélérateur au monde avec son rival l'AGS de Brookhaven, dans l'état de New-York.
Edgar adorait partager sa passion. Pour les jeunes ingénieurs et techniciens de la division, il s'est rapidement imposé comme le gourou de l'électronique aussi bien analogique que digitale. On pouvait venir le consulter dans son bureau à n'importe quelle heure avec un problème, pour en ressortir un peu plus tard avec la solution.
A notre époque où l'on peut consulter - voire modifier! - le fonctionnement des accélérateurs en temps réel sur son téléphone portable, on a du mal à imaginer que les premiers contrôles des machines par ordinateurs datent des années '60. Une des créations les plus marquantes d'Edgar fut la réalisation du STAR (Système de transmissions adressées rapide) et du BIDUL (qui peut encore en traduire l'acronyme?) : premiers systèmes à l'époque débutante des commandes de processus via ordinateur (en l'occurrence une IBM 1800 !!). Ce système fut le premier réseau des contrôles de l'accélérateur PS et Edgar fournit alors interfaces et modules adaptés, création et maintenance pendant de nombreuses années.
Parmi ses multiples inventions, on peut aussi citer le « bravomètre » : petite unité permettant d'enregistrer les records successifs de l'intensité des protons accélérés. Pour démontrer que les impulsions dites "standard" utilisaient beaucoup trop d'énergie, Edgar s'était amusé à développer des modules qui ne comportaient aucune alimentation électrique, et qui étaient alimentés par les impulsions elles-mêmes.
Au début des années '80, Edgar a rejoint la petite équipe de la machine LEAR, l'anneau à antiprotons de basse énergie. Doyen du groupe, il s'est vu affublé du surnom affectueux de « Papy » alors qu'il n'était pas encore grand-père. C'est au moyen d'un petit calculateur de poche programmable, le HP-41, dont il avait modifié les circuits pour qu'il calcule plus vite, qu'il mettait au point ses filtres de Bessel et de Tchebychev, jusqu'à donner les valeurs de composants aux normes. Ces filtres permettaient l'élimination du bruit afin de mesurer à très haute précision le faisceau d'antiprotons de faible intensité.
Sa dernière contribution consistera en une étude détaillée des caractéristiques des Transformées de Fourier, Discrète et Rapide (DFT et FFT). Papy utilisait ces techniques mathématiques pour mesurer le point de fonctionnement, « Q », de la machine LEAR. Le système avait été baptisé « Papy-Q ». Papy, en reprenant très rigoureusement les calculs, avait découvert qu'il était possible d'extraire beaucoup plus d'informations de cette manipulation mathématique, qu'il n'était jusque-là convenu de la faire: extraction de la phase, élimination du bruit, séparation des interférences entre les plans horizontal et vertical... Les calculs d'Edgar, suivis de nombreuses simulations sur son HP-41 « de course », puis sur les systèmes VAX de LEAR, ont ensuite été implémentés dans des calculateurs PDP-11 dédiés qui affichaient le point de fonctionnement.
Depuis le départ à la retraite de Papy en 1993, ces études ont ensuite fait l'objet de nombreuses publications et thèses de la part de plus jeunes scientifiques, au CERN, mais aussi à Brookhaven, Villigen ou Berkeley pour n'en citer que quelques-uns. L'un d'entre eux nous rappelle que ses techniques d'interpolation non-linéaire sont encore bien d'actualité, et sont à la base d'études de stabilité du faisceau dans plusieurs machines européennes & américaines. Un autre nous indique que ce sont les calculs de Papy sur la DFT qui ont semé les germes du « BBQ », le système de mesure du point de fonctionnement mis au point pour le LHC et désormais étendu aux autres synchrotrons du CERN. Papy nous a quittés mais son héritage perdure dans le monde des accélérateurs. Electronicien de génie, pour nous ses collègues et amis, c'est surtout par sa générosité et son humour que son souvenir restera dans nos coeurs.
Adieu Papy.
Ses amis et anciens collègues