Faisceaux « desserrés » pour TOTEM et ATLAS/ALFA

Une exploitation spéciale proton-proton d'une semaine, avec des faisceaux ayant de plus grandes dimensions aux points d'interaction, sera l’occasion d’étudier le régime de diffusion élastique proton-proton dans les petits angles.

 

Nicola Turini, porte-parole adjoint de TOTEM, devant l'un des « pots romains » de l'expérience, dans le tunnel du LHC. (Photo : Maximilien Brice/CERN)

En général, l'objectif du LHC est d’avoir une luminosité maximale. Toutefois, quelques jours par année, le LHC oublie ce mot d'ordre pour fonctionner avec une luminosité très faible, pour les expériences à petits angles. Cette semaine, le LHC fournira aux expériences TOTEM et ATLAS/ALFA des données pour un vaste programme de physique.

L'expérience TOTEM au point 5 et l'expérience ATLAS/ALFA au point 1 étudient la diffusion élastique des protons, qui n'est pas observable lors du fonctionnement habituel. Lors du processus de diffusion élastique, les deux protons restent intacts après leur rencontre, se contentant de changer de direction en échangeant de l'impulsion.

Pour rendre possible cette exploitation spéciale, les opérateurs jouent sur le paramètre appelé bêta étoile. Plus le bêta étoile est élevé, moins les faisceaux sont comprimés, et plus ils sont parallèles lorsqu'ils arrivent au point d'interaction. Pour cette exploitation spéciale, le bêta étoile a dû être porté à 2,5 km (alors qu’il n'est que de 0,4 m pendant l’exploitation normale).

Parvenir à faire fonctionner le LHC avec un paramètre bêta étoile aussi élevé constitue en soi un tour de force ; pendant la première période d'exploitation, à 8 TeV, la valeur de 1 km avait été atteinte. Mais avec une énergie plus élevée, les deux protons qui arrivent sont, pour le même échange d’impulsion, déviés selon des angles plus petits. Les détecteurs « pots romains » de TOTEM et d'ATLAS/ALFA ne pouvant pas être rapprochés davantage des faisceaux, le paramètre bêta étoile doit être porté à des valeurs encore plus élevées pour qu’on obtienne une acceptance adaptée aux angles plus petits. « Il est extrêmement difficile de faire produire à la machine des faisceaux ayant un paramètre bêta étoile aussi élevé », explique Simone Giani, porte-parole de la collaboration TOTEM. « Nous sommes très reconnaissants à l'équipe du LHC d'avoir réussi à faire fonctionner la machine avec des réglages aussi extrêmes », ajoute Karlheinz Hiller, chef du projet ALFA.

Une partie de l'équipement de l'expérience ATLAS/ALFA au point 1 du LHC. (Photo : Ronaldus Suykerbuyk)

Le programme de physique prévu pour TOTEM lors de cette exploitation spéciale à bêta étoile élevé comprend de nombreuses mesures intéressantes. En plus de déterminer précisément la probabilité totale d'interaction entre deux protons (étroitement liée à la section efficace) à 13 TeV, TOTEM mènera une étude détaillée sur la région de la diffusion élastique où le transfert d'impulsion est faible, c'est-à-dire sur ce qui se passe quand deux protons interagissent à peine et que les angles de diffusion sont très petits.

Une étude approfondie de cette région est importante pour de nombreuses raisons. D'abord, la probabilité d’une interaction semble être différente lorsque les impulsions transférées sont très faibles mais, comme cela ne devrait pas être possible physiquement, une étude détaillée de cette région fera la lumière sur ce qui se passe quand les deux protons n'interagissent presque pas.

Ensuite, dans cette même région, la contribution de l'interaction électromagnétique (« diffusion de Coulomb ») interfère avec la partie nucléaire de l'interaction élastique. L'étude de cette zone d'interférence peut mettre en lumière la structure interne des protons et déterminer laquelle de leurs parties (la partie périphérique ou la partie interne) est effectivement responsable du processus de diffusion élastique.

Cette étude pourrait aussi apporter des informations sur la probabilité que deux protons passent l'un à travers l'autre sans subir d'interférence, comme s’ils n’avaient pas de substance. « Cela peut paraître étrange si vous imaginez un proton comme une boule de billard, explique Simone Giani. Mais il faut voir les protons comme des systèmes quantiques multi-corps. »

Pour utiliser une analogie, on peut imaginer les deux protons comme deux grandes « galaxies » (composées de minuscules particules en mouvement) lancées à grande vitesse l'une contre l'autre : il y a une probabilité définie que les deux galaxies se traverseront mutuellement sans que les particules internes interagissent de façon notable.

Enfin, la collaboration TOTEM prévoit de mener des études de physique pour chercher des traces d'états spéciaux formés de trois gluons, prédits par la théorie mais pour lesquels on ne dispose expérimentalement que de faibles indices.

L'objectif de physique de l'expérience ATLAS/ALFA consiste également à réaliser une mesure précise de la section efficace proton-proton totale, puis d'utiliser cette mesure afin de déterminer la luminosité absolue du LHC au point 1 pour l'exploitation avec un bêta étoile de 2,5 km.

Pour ATLAS/ALFA, la partie intéressante du spectre se trouve dans les valeurs faibles de l'impulsion transférée, pour lesquelles la diffusion de Coulomb est dominante : la section efficace de la diffusion de Coulomb étant connue en théorie, sa mesure fournit une estimation indépendante de la luminosité absolue du LHC. Rappelons que les mesures de la luminosité sont habituellement réalisées au moyen de balayages Van der Meer, pendant le fonctionnement normal à haute luminosité.

« Avec suffisamment de données – par exemple 10 millions d'événements élastiques pertinents – nous espérons être capables de mesurer la luminosité absolue avec une précision de 3 % », indique Patrick Fassnacht, chef de projet adjoint du projet ATLAS/ALFA.


Les derniers résultats publiés par la collaboration TOTEM comprennent une première observation d’écarts par rapport à une forme purement exponentielle de la section efficace élastique à 8 TeV. Pour plus d’informations, consultez le site web de TOTEM.

Le résultat le plus récent publié par la collaboration ATLAS/ALFA est une mesure de la section efficace totale de la diffusion élastique proton-proton à 7 et 8 TeV avec un bêta étoile de 90 m ; les données avec un bêta étoile de 1 km sont encore en cours d'analyse. Vous trouverez plus d’informations sur le site web d'ATLAS/ALFA.

par Stefania Pandolfi