Le neutrino fait-il la girouette ?

Avant de refermer cette première partie du dossier consacré au projet CNGS, voici une 'légère' introduction aux articles de la semaine prochaine.

Le neutrino donne du fil à retordre aux physiciens qui en sont venus à se demander si le neutrino du muon ne se transformait pas en neutrino du tau. Cette hypothèse expliquerait en effet le déficit de neutrinos du muon dans l'atmosphère.
Quand les rayons cosmiques interagissent avec les noyaux des atomes de la haute atmosphère, deux sortes de neutrinos sont produits : des neutrinos «muoniques» et des neutrinos «électroniques». Or des mesures ont montré qu'il y avait moins de neutrinos «muoniques» que prévus. Et en 1998, l'expérience Super Kamiokande au Japon a indiqué qu'une oscillation (ou transformation) des neutrinos du muon en neutrinos du tau pouvait être à l'origine de ce déficit. Idée renforcée, peu de temps après, par l'expérience K2K (KEK to Kamioka).
Le principal but des expériences du projet CNGS (CERN Neutrinos to Gran Sasso) est de mettre en évidence cette oscillation, supposée se produire sur de longues distances. Ce qui explique les 732 kilomètres - distance séparant le CERN de Gran Sasso - nécessaires pour l'observer.
Pour cela, deux détecteurs - ceux des expériences OPERA et ICARUS - situés au laboratoire souterrain de Gran Sasso, recevront le faisceau de haute énergie issu du CERN. OPERA et ICARUS chercheront les neutrinos du tau apparus au cours du voyage des neutrinos «muoniques» du CERN jusqu'à Gran Sasso.
Si cette oscillation est confirmée, elle pose la question de la nature même du neutrino que l'on croyait, encore il y a quelques années, immuable. On connaît en effet trois types de neutrinos, chacun associé à une particule (lepton) chargée : le neutrino de l'électron, du muon ou du tau. S'ils peuvent passer d'un type à l'autre, c'est qu'ils ont chacun une masse qui les caractérise.
Les physiciens ont déterminé l'infime différence de masse entre les trois types de neutrinos. Mais la masse exacte de chaque neutrino reste inconnue à ce jour. Il y a de grande chance cependant pour que le neutrino de l'électron remporte la palme de la minceur ! Quoi qu'il en soit : les neutrinos sont trop légers pour contribuer efficacement à la masse totale de l'Univers en influençant son devenir.
Particules dépourvues de charge électrique (neutres comme leur nom l'indique), uniquement sensibles à l'interaction faible, les neutrinos interagissent très peu avec la matière. C'est ainsi qu'ils pourront traverser l'écorce terrestre quasiment à la vitesse de la lumière, sur les 730 km séparant le CERN de Gran Sasso, sans que leur trajectoire, ni leurs propriétés ne soient modifiées.
Cette très faible interaction des neutrinos avec la matière nécessite des détecteurs grands et lourds : celui d'OPERA pèsera 1800 tonnes et celui d'ICARUS, 3000 tonnes ! Car sur les milliards de milliards de neutrinos «muoniques» du faisceau produit annuellement, un peu moins d'une vingtaine de neutrinos du tau pourront théoriquement être détectés en 5 ans...si l'hypothèse de l'oscillation se révèle être la bonne. Autant s'armer de patience !


Illustration des oscillations du neutrino du muon en neutrino du tau.