Quand un géant prend froid

Après trois semaines de mise en froid, le solénoïde de CMS a atteint sa température d'exploitation de -269°C.


Une fois l'enceinte à vide refermée avec succès, la mise en froid de la bobine de CMS a commencé début février. Des membres de Saclay et du CERN posent dans l'enceinte à vide (de g. à dr.): Hubert Gerwig, François Kircher, Benoît Curé, Domenico Campi, Bruno Levesy et Andrea Gaddi.

Le solénoïde de CMS est froid - au sens propre. Cette bobine géante vient d'atteindre sa température d'exploitation de -269°C, à laquelle elle est supraconductrice. C'est une étape décisive pour le groupe Cryogénie AT-ECR, pour la collaboration de la bobine de CMS (qui regroupe le CERN, l'EPF de Zurich, le Laboratoire Fermi, l'INFN de Gênes, l'ITEP de Moscou et Saclay) et pour la collaboration CMS dans son ensemble.

Le solénoïde comprend 14,5 tonnes de câbles supraconducteurs enrobés dans 74 tonnes d'aluminium pur, que viennent renforcer 126 tonnes d'alliage d'aluminium d'une grande résistance mécanique, et 9 tonnes d'isolation, l'ensemble pesant 223,5 tonnes. Refroidir un équipement aussi massif n'est pas une mince affaire.

«Jusqu'ici, malgré son fort potentiel, la supraconductivité n'a pas eu beaucoup de succès dans le commerce à cause du refroidissement à la température de l'hélium liquide qu'elle exige et qui représente une opération à la fois pointue, complexe et chère», explique le chef du groupe Aimant et intégration de CMS, Domenico Campi. «Pourtant, avec une expérience aussi gigantesque que CMS, impossible de se passer de supraconducteurs et, donc, de la cryogénie. Il serait tout simplement inconcevable de fabriquer un aimant d'une telle puissance avec un conducteur résistif répondant à des paramètres acceptables.»

Une fois achevée, la bobine a été suspendue à l'enceinte à vide à l'aide de grandes barres d'ancrage en titane, sous la direction de Bruno Levesy de Saclay. L'enceinte à vide a ensuite été refermée et soudée par l'entreprise DWE sous la supervision d'Hubert Gerwig, d'Andrea Gaddi et de leurs collaborateurs, et la mise en froid a commencé début février. Pour la mener à bien, les ingénieurs en cryogénie ont dû refroidir l'aimant avec précaution, lentement et de manière uniforme pour prévenir les déformations et les détériorations éventuelles.

La mise en froid consiste à faire passer de l'hélium gazeux dans une série de conduites entourant la bobine. Dans un premier temps, l'hélium est refroidi graduellement à des températures de plus en plus basses au moyen d'azote liquide à -196°C. Puis, pour obtenir les températures les plus froides, l'hélium est injecté dans de petites turbines, porté à sa température de liquéfaction puis introduit dans les circuits de la bobine pour les remplir.

Après ces trois semaines de mise en froid, l'aimant supraconducteur est maintenant à sa température d'exploitation.

L'appui et l'exploitation de la centrale cryogénique à l'hélium sont dirigés par un duo formé d'un chef de projet, Goran Perinic, et d'un ingénieur-technicien, Thierry Dupont. Ils sont secondés par une équipe d'opérateurs et par leurs collègues des sections d'appui technique du groupe Cryogénie AT-ECR, dirigées respectivement par Marco Pezzetti et Olivier Pirotte.

Bien que le système de refroidissement soit entièrement automatisé, Goran Perinic et Thierry Dupont, après avoir consacré six ans à ce projet, ont passé les trois dernières semaines au chevet de la centrale, dans la salle de contrôle ou chez eux, devant leur ordinateur, à surveiller de près le lent processus de mise en froid pour être prêts à intervenir à la moindre alerte.

«C'est gratifiant d'apporter une contribution même modeste à une technologie qui a ses racines à Genève», souligne Goran Perinic. «Il y a un peu plus de 128 ans, Raoul Pictet était le premier à porter un gaz à une température cryogénique et à le liquéfier, à l'Université de Genève. A l'époque, je doute qu'il ait imaginé l'application que pourrait avoir cette réalisation.»

Le solénoïde a été conçu pour produire à son intensité nominale de 20 000 ampères une induction magnétique de 4 teslas, soit près de 100 000 fois celle du champ magnétique terrestre. Il stockera une quantité d'énergie (2,7 gigajoules) suffisante pour faire fondre 18 tonnes d'or. La bobine supraconductrice sera maintenue à sa température d'exploitation en vue des essais magnétiques qui commenceront en mai, puis elle sera descendue dans la caverne de CMS, à 90 m sous terre, avant la fin de l'année.