Un nouveau protocole accorde au CERN des privilèges et immunités

Grâce à un accord entré en vigueur récemment, le CERN bénéficie d'un ensemble de privilèges et immunités destiné à faciliter les activités du Laboratoire en dehors de ses États hôtes, la Suisse et la France.

Cérémonie de signature du Protocole, le 18 mars 2004. De gauche à droite: Ian de Jong, ambassadeur des Pays-Bas, Robert Aymar, Directeur général du CERN, Tassos Kriekoukis, ambassadeur de Grèce, Maarten Wilbers, conseiller juridique adjoint du CERN, Maximilian Metzger, Secrétaire général du CERN, Michael Schneider, ambassadeur d'Allemagne et Eva-Maria Gröniger-Voss, conseiller juridique du CERN.

Ian de Jong, ambassadeur des Pays-Bas, signe le Protocole lors de la cérémonie du 18 mars 2004. Au fond: Paolo Bruni, ambassadeur d'Italie et Michael Schneider, ambassadeur d'Allemagne.

Le titre officiel de cet accord, Protocole sur les privilèges et immunités de l'Organisation européenne pour la Recherche nucléaire, laisse penser qu'il n'est pas d'une lecture facile. Le Bulletin a donc invité Eva-Maria Gröniger-Voss, conseiller juridique du CERN qui a négocié le Protocole au nom de l'Organisation, à en expliquer les conséquences pratiques.



Le Bulletin: pourquoi les États accordent-ils des privilèges et immunités à des organisations telles que le CERN?

Eva-Maria Gröniger-Voss: Le CERN, comme vous le savez, est une organisation internationale, autrement dit un organisme créé par les États afin d'accomplir des tâches qui ne peuvent être menées à bien qu'en collaboration. La création du CERN, par exemple, traduit une volonté commune de l'Europe, émergeant des ruines de la seconde guerre mondiale, d'explorer la physique des particules à des fins pacifiques. Pour ce but ambitieux, il était nécessaire de mettre en commun les savoir-faire de nos instituts de recherche nationaux et de disposer d'un budget dépassant les possibilités d'un seul État.

De par leur nature, les organisations internationales ont besoin des facilités énoncées dans le Protocole. Sans la protection offerte par les privilèges et immunités accordés par les différents États dans lesquels l'organisation internationale intervient, ces derniers pourraient décider à qui donner ou refuser les permis de travail. Ils pourraient imposer des restrictions sur le droit de séjour du personnel, et prélever des impôts sur les revenus de l'Organisation, à savoir les contributions payées par les autres États membres. De telles ingérences seraient en contradiction avec la raison d'être de la création de l'Organisation et menaceraient son indépendance. Le Protocole est conçu pour régler ces problèmes.

Le CERN existe depuis plus de cinquante ans, comment avons-nous fait jusque-là pour nous passer de ces facilités?

En fait, nous y sommes arrivés, jusqu'à ce que le système soit dépassé. À l'origine, le domaine du CERN était situé entièrement sur le territoire suisse, et c'était là que se déroulaient toutes les activités. Par conséquent, les privilèges et immunités ont tout d'abord été accordés par la Suisse. Lors de l'extension de notre domaine vers la France, en 1965, le CERN obtint de ce pays des facilités similaires. Ces dernières sont énoncées dans les accords avec les États hôtes.

Ensuite nous avons commencé à construire le LHC. Tandis que les travaux de construction pour le SPS et le LEP étaient en grande partie limités au domaine du CERN et impliquaient un nombre restreint d'entreprises partenaires, le LHC a provoqué une véritable explosion de la coopération internationale. Par exemple, les 1232 dipôles, constitués chacun d'une vingtaine d'éléments majeurs fabriqués et assemblés par plus d'une vingtaine de sociétés disséminées dans une dizaine de pays, ont dû franchir plusieurs fois des frontières européennes pour arriver au CERN. D'où des problèmes fiscaux ne pouvant plus être résolus grâce aux facilités de douanes accordées par nos seuls États hôtes. Et, avec la mondialisation constante de la physique des particules, il en sera de même pour tout projet futur.

Comment le Protocole a-t-il été élaboré?

Conscient de ces problèmes, le Conseil a mandaté en 2001 un groupe de travail avec pour mission de rédiger un protocole détaillé qui étendrait efficacement la protection déjà accordée par la Suisse et la France au territoire des 18 autres États membres de notre Organisation. Après deux ans d'intenses négociations, le groupe de travail, qui comprenait des experts juridiques spécialisés venant de plusieurs ministères des affaires étrangères, a soumis un projet de texte qui a été approuvé par notre Conseil en décembre 2003, ce qui a mis en marche le processus ayant abouti récemment à l'entrée en vigueur du Protocole. Je précise que la Suisse et la France ne sont pas parties au Protocole car les deux Accords avec les États hôtes restent applicables à ce jour.

Le Protocole a été adopté par le Conseil en décembre 2003. Pourquoi n'entre-t-il en vigueur que maintenant?

L'adoption du Protocole par le Conseil n'était que la première étape d'une longue procédure car il fallait, dans la plupart des cas, que le document soit approuvé par le Parlement de l'État membre. Douze ratifications étaient nécessaires pour que le Protocole puisse entrer en vigueur. Avec la douzième ratification déposée par le Royaume-Uni le 23 janvier dernier, le Protocole a acquis force de loi dans les douze États membres l'ayant ratifié. Depuis, deux autres États ont ratifié le Protocole et nous avons bon espoir que les autres achèvent leurs propres procédures de ratification dans les prochains mois.

Quels sont les privilèges et immunités accordés par le Protocole?

La liste est longue; je voudrais vous présenter les points principaux.

Le Protocole reconnaît, par exemple, la capacité de l'Organisation «de contracter, d'acquérir et d'aliéner des biens mobiliers et immobiliers, ainsi que d'ester en justice.» Il peut paraître étrange qu'une organisation internationale n'ait pas ces capacités élémentaires, mais en fait, avant l'adoption du Protocole, seuls les États hôtes les avaient officiellement accordées au CERN. Entre autres, cette reconnaissance va permettre à notre Caisse de pensions, qui fait partie intégrante du CERN sans avoir de personnalité juridique propre, d'effectuer des opérations d'investissements sur des marchés dont l'accès lui était difficile auparavant.

Le Protocole nous accorde également l'immunité par rapport à la compétence juridictionnelle des tribunaux nationaux, afin de garantir notre indépendance face aux États membres. Cela dit, nous ne travaillons pas pour autant dans un vide juridique. Le Protocole dispose que le CERN doit régler les différends par d'autres voies. C'est la raison pour laquelle les actions intentées par les membres du personnel contre l'Organisation doivent être adressées au Tribunal administratif de l'Organisation internationale du travail, et les litiges entre le CERN et les entreprises avec lesquelles il a conclu un contrat sont réglés, non pas par les tribunaux nationaux, mais par des experts indépendants nommés par les parties.

Le Protocole a-t-il une incidence pour les membres du personnel?

Certainement. Par exemple, un des articles étend aux membres du personnel le bénéfice de l'immunité de juridiction de l'Organisation, pour ce qui concerne les actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions. Le Protocole soustrait aussi le personnel et les membres de leur famille aux restrictions d'immigration, et exonère de l'impôt sur le revenu les traitements et émoluments payés par le CERN.

La non soumission des membres du personnel aux restrictions d'immigration est particulièrement bienvenue lorsque le CERN a besoin de détacher du personnel auprès d'entreprises. Jusque-là, la nationalité du membre du personnel et la durée prévue du détachement représentaient des obstacles majeurs, à tel point que nous recevions des appels de membres du personnel du CERN retenus aux frontières.

L'exonération, en dehors des États hôtes, de l'imposition des paiements effectués par le CERN aux membres du personnel est également appréciable. En échange de l'exonération des impositions nationales, le Protocole exige l'introduction d'un système d'imposition interne, au bénéfice de l'Organisation. Ce système a été reconnu par les États hôtes, ce qui rend la vie plus facile aux personnes dont le revenu provenant du CERN était auparavant imposé, à savoir les Suisses en Suisse et les Français en France. Pour le CERN, qui devait rembourser aux membres du personnel les impôts qu'ils avaient payés et ensuite obtenir le remboursement auprès des autorités fiscales nationales, cette reconnaissance permet d'éviter beaucoup de paperasserie.

Je voudrais souligner le fait que les privilèges et immunités applicables au personnel sont accordés «uniquement afin d'assurer le libre fonctionnement de l'Organisation» et ne sont pas accordés «à l'avantage personnel des bénéficiaires». S'il était demandé au CERN de lever l'immunité d'un membre du personnel, par exemple dans le cadre d'une affaire pénale, le Laboratoire examinerait la demande du seul point de vue de l'intérêt de l'Organisation.

Y aura-t-il des compléments à ce Protocole?

Avec la participation à la construction du LHC des États-Unis, de la Fédération de Russie, de l'Inde et d'autres contributeurs, il serait logique que ces États adhèrent aussi au Protocole. Nous y travaillons.

Pour lire l'intégralité du Protocole:

http://cdsweb.cern.ch/search?sysno=002693575CER

Autres privilèges prévus par le Protocole

Le Protocole: