L’astroparticule, une discipline qui s’organise !

L’astroparticule est un domaine de recherche en pleine expansion au croisement de l’astrophysique, de la physique des particules et de la cosmologie. Cependant, contrairement à la physique des particules, cette discipline ne dispose pas d’une structure permanente comme le CERN pour préparer son avenir à long terme. Mais les choses commencent à changer et le CERN pourrait bien y contribuer...

Deux projets d’expériences d’astroparticule: le réseau de télescopes Tchérenkov CTA (à gauche), et KM3NeT (à droite), un télescope à neutrinos en mer Méditerranée.

Créé il y a à peine trois ans, le réseau européen de la physique des astroparticules, ASPERA, est une organisation provisoire dont l’objectif est de promouvoir la coopération et la coordination dans un domaine qui, jusqu’alors, n’avait jamais disposé d’une organisation centralisée. Après plusieurs années de travail intensif, la commission chargée d’établir la feuille de route de l’organisation a mis au point une «stratégie européenne pour la physique des astroparticules», présentée lors de la réunion d’ASPERA à Bruxelles, les 29 et 30 septembre 2008. Outre des projets de nouvelles infrastructures, ce document met également l’accent sur sept propositions de nouvelles grandes expériences.

Baptisés les «Sept merveilles» (the Magnificent Seven), ces programmes scientifiques comprennent notamment le CTA (Cherenkov Telescope Array), un immense réseau de télescopes Tchérenkov destiné à détecter des rayons gamma cosmiques de très haute énergie, et le KM3NeT, un télescope à neutrinos de 1 km3 installé en Méditerranée. Ces projets de plusieurs centaines de millions d’euros vont nécessiter la participation conjointe d’un grand nombre de pays et d’institutions au niveau international. Dans ce cadre, ASPERA aspire non seulement à une plus grande coopération au sein même de la communauté d’astroparticule, mais aussi à une collaboration plus poussée avec les physiciens des particules - Une aspiration partagée par le CERN.

«Je crois que nous devrions considérer nos expériences et les différentes disciplines scientifiques existantes de manière plus globale», explique Rolf Heuer, directeur général désigné du CERN. «Le principal domaine d’acticité du CERN reste bien sûr la physique des particules avec accélérateurs, mais je pense que la communauté de la physique des particules et celle de l’astroparticule devraient collaborer de manière plus étroite, et le CERN pourrait jouer un rôle clé dans ce rapprochement».

Pour aider le CERN dans cette voie, Maurice Bourquin, président du Comité directeur d’ASPERA et ancien président du Conseil du CERN, a récemment été nommé représentant de la physique des astroparticules auprès du Conseil du CERN. Pour la première fois, un porte-parole du monde de la physique des astroparticules participera aux sessions du Conseil sur la stratégie européenne. En toute logique, Maurice Bourquin espère qu’à l’avenir le CERN s’impliquera davantage dans cette discipline.

«L’astroparticule pourrait être définie comme l’utilisation des outils de la physique des particules, comme les détecteurs, pour observer les objets du cosmos, explique Maurice Bourquin, mais l’inverse est également vrai. En effet, l’étude des objets du cosmos peut nous en apprendre beaucoup sur la physique des particules. En fin de compte, les objectifs scientifiques que nous poursuivons sont les mêmes».

La physique des particules, l’astrophysique et la cosmologie se sont toujours recoupées. Pour Maurice Bourquin, l’astroparticule permet d’unir ces différents domaines de théorie et de recherche en physique. «Les théories de la cosmologie et de la physique des particules sont décrites grâce à des modèles que les scientifiques tentent d’unifier depuis de nombreuses années. Qui dit physique des particules, dit Modèle standard. De la même manière, qui dit cosmologie, dit gravitation. Mais une chose est sûre: il n’y a qu’une seule vérité, qu’une seule physique fondamentale. Les deux disciplines se basent donc sur les mêmes lois physiques. L’astroparticule présente l’avantage d’être au croisement de ces deux sciences».

«Je pense qu’une fois que nous en aurons pris conscience, nous devrons faire quelque chose pour coordonner l’astroparticule et la rapprocher de la communauté de la physique avec accélérateurs, ajoute Maurice Bourquin. Mais la question sera alors de savoir comment faire. Il faudra peut-être un réseau de pays ou d’institutions, ou un laboratoire quelque part en Europe qui intégrera ces activités. Ou encore, une organisation internationale semblable au CERN pour la physique des particules. C’est de cette question que va débattre l’ASPERA dans les années à venir».

Le CERN a déjà pu accroître sa participation au domaine de l’astroparticule à travers la création du statut d’«expérience reconnue» pour des projets tels que AMS, ANTARES, Auger, CAST, IceCube, etc. En réalité, presque toutes les expériences reconnues du CERN pourraient être considérées comme expériences d’astroparticule. «Néanmoins, je suis certain que le CERN peut entreprendre quelque chose de plus ambitieux, poursuit Maurice Bourquin. On pourrait raisonnablement envisager la mise en place d’une structure qui permettrait aux membres d’expériences reconnues d’échanger, et de partager leurs données et leur savoir-faire. Une telle structure pourrait aussi faciliter la communication entre le monde de l’astroparticule et celui de la physique des particules».

Bien que ces propositions n’en soient qu’à leurs débuts, les idées ont été lancées. Que les nouvelles infrastructures soient intégrées au CERN ou qu’elles s’inspirent simplement de sa structure internationale, il est certain qu’à l’avenir la communauté d’astroparticule jouira d’une plus grande coopération, à la fois en son sein et avec la physique des particules. ASPERA, dont le mandat temporaire prendra fin en 2009, passera le flambeau à ASPERA2 qui, pendant 3 ans, poursuivra les projets concernant l’avenir de l’astroparticule en Europe.

Pour en savoir plus sur ASPERA ou pour télécharger un exemplaire de la stratégie européenne d’astroparticule, rendez-vous sur :

http://www.aspera-eu.org

Théorie de l’astroparticule cherche structure

La théorie de l’astroparticule, discipline aux frontières souvent encore plus floues, est sans doute le domaine qui a le plus besoin d’une structure pour échanger ses idées. «Les intérêts de la plupart des théoriciens vont bien au-delà d’une seule expérience. Et c’est tout particulièrement le cas en astroparticule, une science extrêmement interdisciplinaire», explique Subir Sarkar, théoricien en physique des astroparticules à l’Université d’Oxford qui participe aussi à des expériences d’astroparticule, et membre de la commission chargée d’établir la feuille de route d’ASPERA.

«J’ai la désagréable impression que les gens pensent souvent que les théoriciens n’ont besoin pour support que d’un morceau de craie et d’un tableau noir! ajoute-t-il. Il est évident que nous avons besoin d’un centre scientifique où les théoriciens spécialistes des astroparticules puissent se retrouver et interagir. Un lieu qui nous permettrait non seulement d’étudier les données actuelles mais aussi de réfléchir et d’envisager l’avenir».

Des propositions concernant un futur centre européen de recherche en théorie de l’astroparticule ont déjà été faites par ASPERA. Le CERN fait partie des structures d’accueil possibles. Plus précisément, le récent rapport de stratégie d’ASPERA indique qu’«étant donné la synergie existant entre la physique du LHC et la physique des astroparticules, le CERN serait un hôte naturel, d’autant plus que de nombreuses expériences menées en physique des astroparticules ont été reconnues par le CERN».

« Personnellement, je penche pour le CERN, confie Subir Sarkar, non seulement parce que certains théoriciens du CERN sont déjà impliqués dans la physique des astroparticules et que plusieurs expériences menées dans ce domaine ont été reconnues par le CERN, mais aussi parce qu’il y a au CERN l’ambiance de travail que nous recherchons. Au CERN, on a vraiment le sentiment de contribuer à un projet international».