Giuseppe Cocconi (1914 - 2008)

Giuseppe Cocconi, une grande figure de la physique des particules et des rayons cosmiques, est décédé début novembre à l'âge de 94 ans.

Giuseppe Cocconi nous a quitté ce 9 novembre à l’âge de 94 ans. Trente ans après son départ à la retraite, il venait encore régulièrement au CERN pour discuter de physique, cette discipline qui lui était si chère. Nous étions tellement habitués à le rencontrer chaque fois qu’il venait au CERN qu’une sensation de vide nous a tous saisis.

Giuseppe Cocconi en 1981 à la bibliothèque du CERN dont il était l’un des utilisateurs les plus assidus.

Giuseppe est né et a grandi à Côme, en Italie. C’est là qu’il s’est passionné dès son plus jeune âge pour l’astronomie en réalisant des observations et des mesures avec les outils très simples qui lui étaient accessibles. C’est cette approche très directe qui caractérisa par la suite son style de recherche.

Sur les conseils d’un ami astronome, Giuseppe a entrepris des études de physique à l’Université de Milan. Dès la fin de ses études universitaires, Giuseppe fut invité par Edoardo Amaldi à se rendre à Rome en février 1938 où il passa six mois à l’Institut de physique. Il y rencontra Enrico Fermi et Gilberto Bernardini, qui devint plus tard le premier Directeur de la recherche du CERN, mais également d’autres physiciens. Ils venaient de démarrer la recherche sur les rayons cosmiques à Rome.

Avec Fermi, il participa en particulier à la construction d’une chambre de Wilson pour étudier les modes de désintégration des mésons. Giuseppe nous rappelait souvent la chance qu’il avait eu de partager un laboratoire avec Fermi. Il se plaisait à nous parler de Fermi, mais également de Maiorana qui disparut mystérieusement durant cette période. Cette chambre de Wilson fut finalement terminée à Milan.

En août 1938, Giuseppe, de retour de Rome, jeta les bases de la recherche sur les rayons cosmiques à Milan. Il travailla avec des compteurs Geiger et des chambres à brouillard au niveau de la mer et dans les Alpes, à Cervinia et à Passo Sella. En 1942, il fut appelé par l’armée pour effectuer des travaux de recherche dans l’infrarouge pour l’aviation italienne.

Ce fut à Milan que Giuseppe rencontra Vanna Tongiorgi, une étudiante qui avait choisi les rayons cosmiques comme sujet de thèse et dont Giuseppe était le superviseur. Ils cosignèrent en 1939 un premier papier sur la nature de la radiation secondaire dans les rayons cosmiques. Ils se marièrent en 1945 et formèrent un couple extraordinaire pendant plus de cinquante ans. Tous deux aimaient la physique, les arts et le sport, en particulier le ski et la marche en montagne.

En 1942, cinq ans seulement après avoir obtenu son diplôme (Laurea), Giuseppe fut nommé professeur à l’Université de Catane, où il ne put arriver qu’à la fin de 1944 en raison des combats de la Seconde Guerre mondiale. Giuseppe parlait souvent, avec plaisir, des personnes qu’il avait rencontrées à Catane et de la recherche sur les rayons cosmiques qui s’y poursuivait.

Les résultats les plus importants obtenus pendant ses années passées en Italie concernent l’étude des grandes gerbes atmosphériques, un travail de pionnier qui a ouvert la voie à l’étude de ces phénomènes de très grande énergie.

En 1947, Giuseppe accepta l’offre de Hans Bethe pour un poste à l’Université de Cornell aux États-Unis. Il y exerça en tant que professeur jusqu’en 1963. Avec Vanna, il réalisa plusieurs expériences à Cornell et à Echo Lake dans les Rocheuses. Deux résultats émergèrent de ces recherches: l’observation des neutrons comme l’une des composantes de la radiation cosmique, accompagnée du phénomène connu aujourd’hui sous le nom de «spallation», et la démonstration de l’existence de gerbes étendues de particules, dont certaines de très haute énergie indiquant leur origine galactique, et même extragalactique.

Giuseppe aimait l’atmosphère de Cornell. Ses échanges avec ses collègues théoriciens étaient très stimulants et emprunts d’amitié. Il rédigea l’un de ses articles les plus connus avec Philip Morrison qui fut publié dans la revue Nature en septembre 1959 (l’article fut écrit alors qu’ils étaient tous deux visiteurs au CERN). Cet article démontre que la meilleure fréquence pour chercher des signaux d’origine extraterrestre est 1420 Hz, correspondant à la raie de 21 cm de l’atome d’hydrogène. La recherche d’une Intelligence extraterrestre (SETI, Search for Extra-Terrestrial Intelligence) basée sur l’article de Cocconi-Morrison se poursuit encore aujourd’hui.

Pendant un congé sabbatique au CERN (1959-1961), Giuseppe contribua à la mise en place du programme expérimental du PS, qui démarra en novembre 1959. Il réalisa une série de mesures sur la diffusion proton-proton, élastique et inélastique, ainsi que de la section efficace totale pour les collisions des protons avec les noyaux. De retour aux États-Unis, Giuseppe poursuivit ce programme sur l’accélérateur du Laboratoire national de Brookhaven (BNL) pour mesurer la diffusion proton-proton à très grands angles pendant deux années encore.

En 1963, Giuseppe et Vanna rejoignirent le CERN. Giuseppe, Alan Wetherell, Bert Diddens et d’autres formèrent un groupe pour l’étude au PS de la diffusion proton-proton. Ils mirent en évidence que le «pic de diffraction» rétrécit avec l’énergie, un phénomène qui fut bientôt interprété comme le résultat de l’échange de pôles de Regge (ce qu’on appelle pomeron).

Giuseppe fut Directeur de la recherche du CERN entre 1967 et 1969. À la fin des années 60, il considérait avec enthousiasme le projet d’Anneaux de stockage à intersections (ISR). Son groupe s’associa avec un groupe de Rome pour étudier la diffusion proton-proton à très petits angles avec la technologie dénommée plus tard, du fait de cette origine, «Pots romains». Il fabriqua de ses mains le délicat hodoscope formé de minces scintillateurs, et passa des heures à les aligner dans le tunnel des ISR avec des thésards. Il s’en suivit la découverte surprenante pour beaucoup de l’augmentation de la section efficace des collisions proton-proton avec l’énergie, montrant que le proton grossit avec l’énergie, et la découverte corrélée que l’interférence des forces nucléaire et coulombienne devient positive avec l’énergie (comme prédit par les relations de dispersion).

Giuseppe et la collaboration CERN-Rome décidèrent ensuite de travailler sur la physique des neutrinos. Avec le groupe dirigé par Klaus Winter, ils formèrent la Collaboration CERN-Hambourg-Amsterdam-Rome (CHARM). Le calorimètre en marbre construit par CHARM collecta les données du faisceau de neutrinos jusqu’aux années 80. Giuseppe devint un bon connaisseur du domaine des interactions de courants neutres et chargés. Il était particulièrement intéressé par la délicate mesure de la diffusion élastique des neutrinos sur les électrons.

Après sa retraite officielle du CERN, en 1979, Giuseppe continua à suivre avec un vif intérêt les travaux expérimentaux du CERN et les progrès de ses nouveaux accélérateurs. Il suivait également les avancées réalisées dans le domaine des rayons cosmiques et de l’astrophysique. Il entretenait des liens privilégiés avec ses amis théoriciens et la bibliothèque du CERN l’avait enregistré comme l’un de ses utilisateurs les plus assidus.

Giuseppe jouissait du respect de grands physiciens de tous les horizons. Homme de culture et de vision, il était très curieux et attentif à ce qui se passait dans le monde, et pas seulement dans le domaine de la physique. Très attentionné et toujours à l’écoute, direct mais néanmoins humble dans ses relations avec ses collègues, tou-jours prêt à se réjouir du succès des autres et à les féliciter, il était également heureux de partager ses connaissances avec les jeunes chercheurs.

Il était également connu pour son refus d’être associé à une académie, son désintéressement pour les prix et les honneurs, de même que pour sa réticence, après son départ à la retraite, à parler publiquement de ses travaux et de son aventure scientifique.

C’était une grande figure de la physique.

Sa précieuse amitié nous manque. Nous partageons notre émotion avec ses enfants, Anna et Alan, et sa famille qu’il aimait tant.

Ses collègues et amis