Une opportunité pour la science : le Tevatron et le LHC

La presse aime à mettre en exergue la rivalité entre le LHC du CERN et le Tevatron du Fermilab pour la découverte du boson de Higgs. Cette compétition existe bel et bien, et apporte sans doute un peu de piment à la recherche scientifique ; mais il ne faut pas pour autant que l’arbre cache la forêt. En se focalisant sur cette compétition, les médias oublient qu’il existe de longue date une collaboration entre nos laboratoires pour les découvertes scientifiques.

Nos laboratoires et nos chercheurs travaillent ensemble depuis des décennies. Les chercheurs européens ont amplement contribué aux nombreux succès du Tevatron, notamment la découverte du quark top, la découverte des oscillations rapides dans la désintégration des mésons B étranges et les multiples recherches en quête de nouveaux phénomènes. De leur côté, les chercheurs américains ont participé à un grand nombre de programmes au CERN, en particulier les extraordinaires mesures de précision réalisées à l’ère du LEP, et, plus récemment, la construction de l’accélérateur et des détecteurs LHC. Tout au long de 2009, les scientifiques du Fermilab ont joué un rôle essentiel en participant à la préparation du LHC pour l’exploitation, et ils prennent part à présent à l’analyse des données pour la physique. Le LHC va rapidement devenir le pôle de la recherche aux frontières des hautes énergies. C’est un outil essentiel pour nous tous – et, pour les États-Unis, c’est aussi le plus grand programme de physique des hautes énergies. La montée rapide en luminosité, les excellentes performances de la Grille de calcul pour le LHC, ainsi que la compréhension approfondie de l’accélérateur comme des expériences LHC sont déjà des réussites extraordinaires.

La collaboration entre les deux laboratoires ne se limite pas à la science et aux technologies qui sous-tendent les accélérateurs et les détecteurs ; elle s’étend à l’analyse des données pour la physique, mais également aux programmes d’enseignement et de vulgarisation scientifique. Ainsi, le Fermilab et le CERN organisent chaque année à tour de rôle l’École de physique sur les collisionneurs, qui permet de former des scientifiques, de partager toutes les connaissances que nous avons acquises grâce à des années d’expérience auprès du Tevatron, et de découvrir les nouveaux outils mis au point pour les détecteurs du LHC, beaucoup plus complexes et puissants. Nos services de communication et de vulgarisation travaillent main dans la main dans le cadre de la collaboration InterAction avec de nombreux autres laboratoires du monde entier.

Le Comité consultatif pour la physique au Fermilab a récemment recommandé de continuer à exploiter le Tevatron pendant encore trois ans. Cette recommandation n’avait pas pour but de donner du temps et donc un avantage au Tevatron . Elle devrait plutôt accroître pour tous les chances de comprendre la grande question actuelle de la physique des particules : la brisure de la symétrie électrofaible. Aux alentours de 120 GeV (Higgs léger), là où le boson de Higgs, selon des mesures indirectes, devrait se trouver, le Tevatron (avec plus de luminosité et plus de temps pour affiner les analyses), pourrait apporter de nouvelles informations décisives aux observations qui seront faites au LHC, dans le mode le plus abondant et le plus difficile à observer, celui de la désintégration du Higgs en un quark b et un antiquark b.

Les organismes de financement et les comités consultatifs étudieront et choisiront de valider ou non cette recommandation, guidés non pas par un esprit de compétition, mais par un seul objectif : optimiser les possibilités scientifiques de notre programme mondial, en respectant les contraintes budgétaires. Le directeur du CERN comme celui du Fermilab se sont engagés à se soutenir mutuellement et à soutenir la communauté mondiale de la physique des particules en s'attaquant aux questions les plus fondamentales de notre époque. L’un comme l’autre œuvrons pour que cet esprit de collaboration compétitive, propre à la science, continue de servir de moteur à la physique des particules.

Rolf Heuer et Pier Oddone