Réflexions sur le passé et l’avenir du CERN

Dominique Pestre, historien des sciences de renom, livre son éclairage sur l’histoire du CERN et l’évolution de la perception de la recherche fondamentale.

 

Dominique Pestre, Directeur de recherche à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) de Paris.

Que nous enseigne l’histoire du CERN ? Comment les idées qui ont donné naissance au plus grand centre de recherche en physique fondamentale ont-elles évolué ? Il est toujours passionnant de prendre du recul par rapport à sa propre organisation en se penchant sur son histoire et sur l’évolution de la société. Lundi 13 décembre, à l’Ecole de physique de l’Université de Genève, Dominique Pestre donnera une conférence et animera une discussion autour de ces questions.

Directeur de recherche à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) de Paris, Dominique Pestre est l'un des principaux représentants français de l'histoire des sciences. Physicien de formation, il a écrit de nombreux ouvrages sur l’histoire de la physique, la pratique des sciences en occident et leurs rapports avec la société. Il connaît bien le CERN pour avoir notamment coécrit « History of CERN », une histoire détaillée du Laboratoire jusque dans les années 70.

Pourquoi le CERN est-il un sujet d’étude intéressant pour un historien des sciences ?

Le CERN est une remarquable réussite du point de vue scientifique, technique, institutionnel ou organisationnel. Ce centre continue à fonctionner extrêmement bien dans un domaine très particulier, celui de la recherche fondamentale. À ce titre, c’est un sujet passionnant pour l’historien des sciences que je suis. Mais les circonstances qui ont fait du CERN un succès dans les années 50 et 60 ont considérablement changé. Interroger l’histoire pour décrire le contexte contemporain dans lequel le CERN évolue est le sujet que nous allons aborder lors de la discussion que nous aurons lundi prochain.

En quoi ce contexte autour de la physique fondamentale a-t-il évolué ?

Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, les physiciens avaient une aura exceptionnelle conférée par le développement des armes nucléaires. Pendant la guerre froide, qui a suivi, ils ont également eu une grande influence. À cette époque, la pensée dominante autour des sciences était réductionniste. On pensait que la physique fondamentale était le fondement de tout : si on comprenait la structure élémentaire de la matière, alors on comprenait tous les ordres supérieurs. Or, cette perspective a changé dans les années 70, notamment avec la thèse défendue par le Prix Nobel de physique Philip Warren Anderson dans son article « More is different ». Il développait la thèse qu’à chaque niveau d’ordre supérieur, des propriétés physiques spécifiques émergeaient. Il n’y avait donc pas de réduction possible à l’échelle fondamentale. Les idées autour des rapports entre recherche fondamentale et recherche appliquée ont également évolué : on sait bien aujourd’hui que le lien n’est pas linéaire. Ces changements de perspectives sont primordiaux pour le CERN.

Paradoxalement, nous mesurons au CERN un intérêt du public croissant au cours des dernières années. Qu’en pensez vous ?

Peut-être y a-t-il une renaissance de la popularité d’une recherche fondamentale déconnectée des besoins mercantiles. La montée de la financiarisation de la société a généré, en réaction, des mouvements opposés au mercantilisme. La physique développée au CERN est justement désintéressée, elle a à voir avec la gratuité. Elle peut être perçue comme un idéal d’altruisme et de transcendance. C’est un débat intéressant que nous pourrons développer lundi prochain.


Tous les détails sur la conférence sont disponibles ici.

par Corinne Pralavorio