Zone de turbulences

En tant que membre du consortium européen EuHIT (European High-Performance Infrastructures in Turbulence - voir ici), le CERN participe à la recherche fondamentale sur les phénomènes de turbulences. Dans ce cadre, le Laboratoire met à la disposition des chercheurs européens une infrastructure de recherche cryogénique (voir ici), où viennent d’être réalisés les premiers tests.

 

Dernier jour d’acquisition de données, fatigués mais rassasiés par sept intenses journées de mesures.
 Autour du cryostat, de gauche à droite : Philippe-E. Roche, Éléonore Rusaouen (CNRS), 
Olivier Pirotte, Jean-Marc Quetsch (CERN), Nicolas Friedlin (CERN),
 Vladislav Benda (CERN). Absents de la photo : Laurent Le Mao (CERN), Jean-Marc Debernard (CERN), 
Jean-Paul Lamboy (CERN), Nicolas Guillotin (CERN), Benoit Chabaud (Univ. Grenoble) et Gregory Garde (CNRS).

Dans le hall SM18, le CERN dispose d’une installation cryogénique unique au monde composée de 21 stations de tests refroidies à l’hélium liquide. Si cet équipement est bien sûr destiné à tester les éléments de nos accélérateurs, il est également adapté pour mener d’autres expériences de laboratoire, notamment pour l’étude de la « turbulence très intense » dans les fluides.

La turbulence très intense est un phénomène naturel observé dans de nombreux contextes – dans l’atmosphère et l’océan, dans le sillage des avions et des trains, et même dans les étoiles – mais elle reste très difficile à étudier. « L’apparition de ce phénomène dépend principalement de trois paramètres, explique Philippe Roche, chercheur au CNRS. La vitesse du fluide, sa viscosité, et la taille du système (de l’ordre de plusieurs kilomètres dans le cas d’une turbulence atmosphérique ou océanique, par exemple). » Plus la vitesse et la taille sont grandes, et la viscosité est faible, plus la turbulence est intense. En mécanique des fluides, le niveau de turbulence est décrit par le nombre de Reynolds (Re)* : à nombre de Reynolds élevé, turbulence élevée.

Schéma du cryostat dans lequel est menée l'expérience.

Or l’installation cryogénique du SM18 est justement l’endroit idéal pour générer, dans des conditions de laboratoire parfaitement contrôlées, un phénomène de turbulences très intense : son réfrigérateur distribue de l’hélium cryogénique, dont la viscosité est extrêmement faible (200 fois moins que l’air dans les conditions de l’expérience), ce qui, combiné à la taille particulièrement grande du cryostat dans lequel est menée l’expérience (1,1 m de diamètre pour 4,6 m de hauteur - voir schéma ci-contre), permet d’atteindre des nombres de Reynolds de l’ordre de 107. « Au CERN, cette infrastructure est capable de produire une turbulence d’une intensité comparable à celle observée dans certains phénomènes atmosphériques, indique Olivier Pirotte, chef de la section Mécanique et ingénierie du groupe Cryogénie et coordinateur du projet EuHIT au CERN. Mais pour arriver à ce résultat, nous devons être dans les conditions les plus proches du modèle théorique, ce qui nécessite de travailler avec un jet d’hélium 100 % gazeux. » Le groupe Cryogénie a donc développé un dispositif chauffant qui, fixé dans la ligne d’alimentation de l’hélium liquide, permet de le faire passer à l’état gazeux avant son injection dans le cryostat.

Pour étudier la zone de turbulence et « voir » ce qui se passe en son cœur, les chercheurs de l’EuHIT conçoivent des capteurs spécialement adaptés au cryostat mis à leur disposition par le CERN. Les données recueillies (vitesse, température et pression) permettront d’en apprendre beaucoup sur ce phénomène. Mais pour l’heure, les derniers réglages de l’expérience sont peaufinés en collaboration avec le CNRS. La première prise de mesures pour la physique est prévue pour le mois d'octobre, à débit partagé (voir encadré) ; une deuxième opération devrait avoir lieu en janvier, à pleine puissance cette fois.


*Nombre de Reynolds (Re) = (vitesse x taille) / viscosité cinématique.
 


Voir les images en taille réelle -
 

Le CERN, membre de l’EuHIT (European High-Performance Infrastructures in Turbulence)

L’implication du CERN dans la recherche sur les phénomènes de turbulences remonte à l’année 2000. Une nouvelle infrastructure cryogénique vient alors d’être mise en place au SM18 pour tester la chaîne de test "String" du futur LHC. Un décalage dans le démarrage de ces tests en 2000 a permis de libérer le nouveau système cryogénique, que la Direction du CERN a accepté de mettre à la disposition des chercheurs spécialisés dans l’étude des phénomènes de turbulences, qui ont pu y mener des expériences début 2001.

De 2002 à 2007, l’installation cryogénique a exclusivement fonctionné pour le LHC. En 2007, après la fin des tests pour le LHC, la communauté « turbulence » s’est réunie au CERN, à la suite de quoi elle a décidé de déposer une demande de financement auprès de l’Europe. Le CERN deviendra alors l’un des partenaires du consortium EuHIT (7e Programme-Cadre).

Grâce au financement européen, le CERN peut, sans surcoût, mettre une infrastructure de recherche exceptionnelle à la disposition des chercheurs européens, et ce deux semaines par an dès 2015 : une semaine en débit partagé (c’est-à-dire que le débit d’hélium liquide est partagé entre divers tests réalisés en parallèle) et une semaine à pleine puissance (100 % du débit d’hélium liquide est fourni à l’EuHIT).

 

par Anaïs Schaeffer