Lucien Montanet (1930 - 2003)

Lucien Montanet nous a quittés le Jeudi 19 juin et cette nouvelle nous a profondément attristés. Récemment, il discutait encore de physique parmi nous avec son enthousiasme coutumier. Quelques semaines plus tôt, surmontant sa fatigue, il avait pu rendre un éloquent et chaleureux hommage à son ami Charles Peyrou.
Venu du réacteur nucléaire ZOE en France, Lucien fut l'un des premiers physiciens à s'établir au CERN en 1957 avant même que des bureaux fussent installés sur le site. Jeune physicien, il commença par analyser des interactions de rayons cosmiques (~100 GeV) à l'aide de clichés pris dans une chambre de Wilson située au sommet de la Jungfraujoch (Suisse) et passa son doctorat sur ce travail.
Plus tard, il rejoignit le groupe de chambres à bulles du CERN de Charles Peyrou et avec Raphaël Armenteros analysa les annihilations proton-antiproton sur des photos prises dans la chambre à bulles de 81 cm. Ces clichés étaient parmi les premiers pris par une chambre à bulles au CERN.
Il cosigna la découverte de la première résonance trouvée au CERN et en Europe (le méson E). Ce fut le départ d'une longue carrière consacrée à la spectroscopie des mésons et des baryons : il devint l'un des éminents spécialistes de ce domaine. Lucien joua un rôle majeur dans l'élaboration du cadre dans lequel s'organise notre connaissance actuelle des particules élémentaires. Il fut l'un des membres importants du «Particle Data Group», organisa et anima de nombreux séminaires et conférences sur la spectroscopie des hadrons. Durant de nombreuses années, il fut un rapporteur très demandé pour la revue de ces sujets.


Lucien Montanet en 1996 dans la salle de contrôle de Crystal Barrel discutant avec Nana Djaoshvili (Institute of Physics Georgian Academy of Sciences). L'expérience de Crystal Barrel, dans laquelle Lucien s'est beaucoup investi, a étudié les annihilations de proton-antiproton et de deuterium-antiproton de 1989 à 1996 au LEAR (Low Energy Antiproton Ring).

Au cours de ses activités expérimentales, il fut l'initiateur et le maître d' oeuvre de plusieurs expériences de première importance au CERN.
L'une des plus célèbres est l'expérience EHS (European Hybrid Spectrometer), un ensemble complexe de détecteurs de particules alimenté par un faisceau de haute énergie du CERN-SPS. Le but de cette expérience était de déterminer, dans les états finaux hadroniques complexes, la dynamique des interactions fortes et d'étudier les désintégrations faibles associées. Ce spectromètre a été le premier à mesurer la vie moyenne du méson charmé D avec une excellente précision. Il possédait des détecteurs remarquables comme une chambre à bulles à cyclage rapide et une chambre à bulles holographique de haute précision. Lucien était le porte-parole de cette importante (selon les standards de l'époque) collaboration d'instituts. Il a su attirer de jeunes physiciens et leur communiquer son enthousiasme et son expérience. De cette manière, il a joué un rôle capital dans le développement de la physique de hautes énergies en Espagne, nation qui était l'un des principaux bailleurs de fond de EHS bien qu'à l'époque elle ne fut pas membre du CERN.
Lucien tint un rôle similaire avec la Russie lorsqu'il fut nommé en 1985 coordinateur du comité CERN-URSS, devenu par la suite comité CERN-Russie. L'excellente qualité des rapports entre le CERN et la Russie doit beaucoup à son savoir-faire et au soin avec lequel il accomplit sa mission.
A partir de 1990, membre du conseil scientifique du «Joint Institute for Nuclear Research» à Dubna (JINR) , il fut très impliqué dans la définition de la politique scientifique du JINR.
En 1973, il devint éditeur de 'Physics Letters'. Il mena cette tâche avec compétence et efficacité, et poursuivit cette activité même après sa retraite en 1995. Il demeura ainsi en contact étroit avec la communauté des physiciens de hautes énergies et resta bien connu des jeunes générations. On peut dire que la plupart des publications du CERN et des autres laboratoires européens furent examinées avec soin et expertise par Lucien et son partenaire Klaus Winter. Jusqu'à la fin de sa vie, il mena ce travail avec le même sérieux.
Avec Lucien Montanet, nous perdons l'un des pionniers de la physique moderne des hautes énergies, un acteur inspiré généreux et amical de notre communauté et un vrai fidèle de la science.

Ses collègues et amis