Inventé au CERN… comme tant d’autres choses

Le CERN a souvent servi d’incubateur au développement de technologies innovantes, mais très peu de gens savent que les écrans tactiles capacitifs ont été inventés en 1973 pour les consoles de la salle de contrôle du SPS. Le Bulletin a interviewé leur inventeur, Bent Stumpe, qui a également mis au point pour le CERN une boule de commande et une manette de contrôle programmable.

 

Bent Stumpe, inventeur des écrans tactiles du CERN, de la boule de commande et de la manette programmable. Il est photographié ici avec l’un des premiers écrans tactiles développés en 1973.

Un but précis, beaucoup de motivation et les compétences techniques pour réaliser le projet : voilà tout ce dont vous avez besoin pour créer quelque chose de totalement nouveau. Dans les années 1970, alors que le SPS était en cours de construction, il fallait prévoir pour sa salle de contrôle l’installation de milliers de boutons, de manettes, d’interrupteurs et d’oscilloscopes pour faire fonctionner la machine. Frank Beck, récemment recruté de la division DD pour prendre en charge le poste de contrôle central de la salle de contrôle du SPS, a demandé à Bent Stumpe d’imaginer des solutions au problème suivant : comment concevoir un dispositif « intelligent » qui permettrait, en trois consoles, de remplacer tous ces boutons, interrupteurs, etc.

En quelques jours, Bent Stumpe, un ingénieur danois qui venait également de la division DD, a proposé un projet (écrit à la main) consistant en un écran tactile comportant un nombre fixe de boutons programmables, une boule de commande servant de dispositif de pointage contrôlé par ordinateur et une manette programmable. À la suite de cette proposition, Bent Stumpe était engagé par le groupe Contrôles du SPS pour mettre au point ce matériel.


George Shering, chef de la section chargée du développement du contrôle central de la Division SPS. Il était l’un des principaux développeurs de NODAL, le logiciel derrière le système de contrôle de SPS, qui comprenait les écrans tactiles.
 
« Nous disposions de très peu de temps pour concevoir le nouveau système, et démontrer que le matériel et le logiciel pouvaient fonctionner, raconte Bent Stumpe. Grâce à Chick Nichols, de l’atelier EP du CERN, il a été possible de vaporiser une très mince couche de cuivre sur une feuille de Mylar souple et transparente. Nous avons ainsi produit le tout premier prototype d’un écran tactile capacitif. »

Bientôt, Bent Stumpe et Frank Bech ont pu démontrer que le premier écran, qui comportait neuf boutons, fonctionnait réellement, c’est-à-dire que le bouton actionné par l’utilisateur pouvait être identifié sans erreur. Ils ont alors présenté le projet à la Direction, qui l’a accepté et a lancé le travail de développement correspondant. « Dans la configuration finale de la salle de contrôle du SPS, il a été décidé d’installer trois consoles principales, chacune équipée d’un écran tactile de 16 boutons, explique Bent Stumpe. J’ai lu sur Wikipedia que la durée de vie normale des écrans tactiles actuels est de deux ans. Ceux que nous avons conçus ont continué à fonctionner pendant plus de 20 ans ! »


La mécanique et l’électronique derrière la manette programmable de Bent Stumpe.
 
Les consoles de contrôle du SPS comprenaient également une boule de commande, c’est-à-dire un dispositif capable d’identifier selon des coordonnées x-y les mouvements d’une balle, et de déplacer le curseur sur l’écran de façon correspondante. Cela ne vous rappelle pas quelque chose ? « On ne peut pas dire que c’était le précurseur de la souris, car la première souris, qui comportait également un dispositif de pointage x-y, avait une conception mécanique et électrique différente, explique Bent Stumpe. La boule de commande que nous avons mise au point en 1973 appliquait les mêmes principes que les souris mises au point ultérieurement par l’industrie dans les années 80. »

La technologie mise au point pour l’écran tactile capacitif a été immédiatement transférée à l’industrie, en particulier à l’entreprise danoise Ferroperm. Au CERN, les écrans tactiles ont été utilisés pour d’autres applications de contrôle. Les écrans tactiles du CERN ont été également adoptés par d’autres grands laboratoires.

Toutefois, malgré les nombreuses publications sur le sujet au CERN et dans des revues spécialisées, l’utilisation des écrans tactiles a été limitée pendant de nombreuses années, en partie parce que le système exigeait une puissance informatique considérable, ce qui coûtait très cher à l’époque. Par la suite, quand la puissance informatique est devenue bon marché, la même technologie a été reprise, redéveloppée, et commercialisée à très grande échelle pour devenir omniprésente, par exemple dans les téléphones portables.

Les écrans tactiles du SPS, développés à l’origine par Bent Stumpe, ont fonctionné à partir de 1973 et jusqu’à l’installation de la nouvelle salle de contrôle du LHC en 2008.




Comment fonctionne un écran tactile capacitif ?

Dans un écran tactile capacitif comme ceux du CERN, la zone sensible au toucher de l’écran (le bouton) fait partie d’un circuit électrique. Lorsqu’un utilisateur touche l’écran du doigt, il modifie le diélectrique du condensateur, ce qui se traduit par une modification de la capacité électrique. Le logiciel calcule les différences de capacité par rapport aux zones de l’écran qui ne sont pas touchées et analyse à quel endroit de l’écran s’est produit la modification. Cette information est alors relayée au logiciel qui exécute l’opération désirée.



Plus d'infomation : CERN Yellow report.

par CERN Bulletin