Du plancher des vaches au tunnel du LHC

Exposées à Fort l’Écluse depuis le 19 juin et jusqu’au 18 septembre, les œuvres de Augenblick mêlent la photographie, le son et la vidéo, et offrent un parallèle instantané et saisissant entre le monde du « réel » et celui de la physique des particules.

 

Les vaches paissent, imperturbables. Au même instant, 100 mètres plus bas, un mini big bang explose en silence. Curieux de confronter ces deux univers - celui du visible et de l’invisible, de la vie quotidienne et de la physique des particules - le plasticien Laurent Mulot, dont l’œuvre interroge des territoires particuliers sur la planète, a imaginé un concept artistique particulier. Baptisé Augenblick (« instant » en allemand) pour souligner le synchronisme des images, ce projet superpose, au moyen de la photographie, de la vidéo et du son, des scènes de vie et des scènes de science. « L’idée m’est venue en juin 2008, raconte Laurent Mulot, lorsque Jean-Paul Martin, chercheur à l’Institut de physique nucléaire de Lyon, avec qui j’avais travaillé un an plus tôt pour la Biennale d’art contemporain de Lyon, m’a donné l’opportunité de visiter la salle de contrôle de CMS. » En partant d’une vision de deux mondes a priori parallèles, Laurent Mulot a voulu voir si, parfois, ces parallèles ne se croisaient pas. Les interrogations des habitants ne se recouperaient-elles pas avec celles des physiciens, et vice versa ?

Le visible. Pour ce faire, Laurent Mulot a pris le temps de découvrir le vaste territoire franco-suisse du LHC et d’aller à la rencontre de ses habitants. « J’ai travaillé en deux temps, au printemps, puis à l’automne 2010. Au fil des rencontres, j’ai photographié des animaux, des paysages, des architectures, des bâtiments, et fait l’interview de certains habitants, d’agriculteurs... » 

L’invisible. Pour obtenir les images des collisions, Laurent Mulot a travaillé en étroite collaboration avec les physiciens d’ATLAS, de CMS, d’ALICE et de LHCb, avec lesquels il a beaucoup échangé. Il explique : « Si, par exemple, je photographiais une vache au-dessus de LHCb le 23 mai 2010 à 16h33, je transmettais ensuite ces coordonnées temporelles aux membres de l’expérience pour qu’ils me fournissent, lorsque c’était possible, l’image d’un événement ayant eu lieu à ce même instant. » Si le synchronisme temporel n’a pas toujours pu être scrupuleusement respecté, artiste et scientifiques ont néanmoins travaillé dans cet objectif.

Si les nombreux diptyques et les vidéos créent un parallèle captivant entre le visible et l’invisible, la musique joue un rôle tout aussi important. « En regardant le cadastre, je me suis aperçu que le LHC passait exactement à la verticale du Conservatoire de musique de Ferney-Voltaire ! » Coïncidence ? Peut-être. Mais surtout, une bonne raison de collaborer avec les professeurs et les élèves musiciens. Après avoir été scannées, les images des collisions ont été traduites en ondes sonores, lesquelles ont à leur tour été traduites en notes. De ces notes est ensuite née une partition baptisée « Son machine » et « jouée » par six musiciens le 18 juin dernier, lors de l’inauguration de l’exposition. A travers ces divers supports, Augenblick ouvre un passage entre deux univers. N’hésitez pas à l’emprunter.

Augenblick a été réalisé avec le soutien du Conseil Régional Rhône Alpes et de la Communauté de commune du Pays de Gex ; et avec l’aide du CERN et des expériences ALICE, ATLAS, CMS et LHCb, de l’INP Lyon et du CCIN2P3.

Ses œuvres sont actuellement exposées à Fort l’Écluse, Longeray, route de Genève, 01 200 Leaz. Plus d’informations sur le site de Fort l’Écluse. L'exposition s'achèvera le 18 septembre à 15h par un débat mené par Jean-Paul Martin et Laurent Mulot.

 


par Anaïs Schaeffer