Le Gigatracker de NA62 ouvre une nouvelle voie pour les détecteurs au silicium

L’expérience NA62 devrait commencer à recueillir ses premières données (exploitation technique) dans un peu plus d’un an. Au cœur de l’expérience se trouve le Gigatracker, détecteur à pixels de silicium d’une conception totalement inédite, dont le rôle consiste à mesurer l’instant et la position d’arrivée des particules du faisceau incident. Le détecteur de démonstration a récemment atteint une résolution temporelle de 175 picosecondes, record sans précédent dans le domaine des détecteurs à pixels de silicium.

 

Le prototype du Gigatracker.

Une enceinte à vide de 115 mètres de long entourée d’un ensemble de détecteurs flambant neufs, le tout destiné à étudier une désintégration très rare : voilà comment se présente le nouveau détecteur de NA62, dont l’installation dans la zone nord du SPS est prévue pour 2012. « Nous étudierons une désintégration très rare des K+. Ce type de désintégration étant très sensible aux contributions provenant de nouvelles particules, il représente un outil puissant pour la recherche d’une nouvelle physique, en complément de l’approche directe des détecteurs du LHC », explique Augusto Ceccucci, porte-parole de NA62.

Les particules provenant du SPS arrivent en aval de la cible de l’expérience avec une très grande fréquence et ne sont pas pulsées avec précision ; leur instant d’arrivée dans l’expérience est, par conséquent, inconnu. L’objectif du Gigatracker est de fournir une mesure précise de l’instant d’arrivée des particules avant qu’elles n’entrent dans l’enceinte à vide où elles fusent et se désintègrent. « Cette information est utilisée pour associer le bon kaon incident à l’événement observé en aval et en reconstituer la cinématique. Dans le Gigatracker, nous avons besoin d’une résolution temporelle inférieure à 200 picosecondes, ce qui représente une précision environ 100 fois plus grande que celle des trajectographes au silicium utilisés par les détecteurs du LHC. Les essais réalisés récemment avec le détecteur de démonstration ont montré que nous pouvions atteindre une résolution temporelle de 175 picosecondes », précise Alexander Kluge, coordinateur des activités CERN dans le cadre du projet Gigatracker.

Après avoir hébergé NA48, la caverne dans la zone nord du SPS se prépare à accueillir NA62.

Trois de ces appareils de très haute précision seront installés en amont et, dans la configuration finale du projet, ils seront composés d’une matrice de 200 colonnes et 90 lignes de pixels. Pour avoir le moins d’incidence possible sur la trajectoire des particules, le matériel utilisé pour construire le détecteur sera de très faible épaisseur. « L’épaisseur du capteur sera de 200 µm, celle de la puce de 100 µm, ce qui représente 50 µm de moins que la plus mince des puces utilisées pour les expériences du LHC. Le Gigatracker sera placé dans le vide, afin de réduire au minimum l’interaction des particules du faisceau avec l’air. En outre, il sera exploité à une température de -20 degrés Celsius, pour limiter les baisses de performance dues aux rayonnements », poursuit Alexandre Kluge. La collaboration développe actuellement de nouvelles méthodes permettant d’assurer un refroidissement efficace par l’utilisation de matériaux légers qui influencent très peu la trajectoire des particules.

Outre leur utilisation très large dans les expériences de physique des hautes énergies, les capteurs au silicium sont également employés dans des applications d’imagerie. Le développement du Gigatracker, détecteur à pixels de silicium, a notamment suscité l’intérêt dans d’autres disciplines scientifiques réclamant des images d’une résolution temporelle inférieure à la nanoseconde. C’est le cas, par exemple, de l’imagerie médicale, pour la tomographie par émission de positons (TEP), et de l’imagerie biomédicale FLIM (imagerie par déclin de fluorescence), pour laquelle des molécules fluorescentes sont stimulées pour produire de la lumière la durée de l’excitation étant mesurée ; les techniques d’imagerie de temps de vol 3D, utilisées dans les caméras haute technologie, où une impulsion lumineuse est envoyée vers un objet et où la lumière réfléchie par celui-ci et son temps d'arrivée sont mesurés. Le Gigatracker de NA62 est une nouvelle illustration de la faible distance qui sépare les développements conceptuels menés dans le cadre de la physique des particules de leur application à des domaines ancrés dans la vie de tous les jours. 

Brève histoire des kaons

Les kaons sont des particules formées de quarks, dont le quark étrange. Il existe des kaons chargés (K+ et K-) et des kaons neutres. Les kaons neutres sont de deux types : le kaon neutre de courte durée de vie (K0S) et le kaon neutre de longue durée de vie (K0L). La violation de la symétrie CP (produit des transformations de la parité P et de la charge C) a été découverte par James Christenson, James Cronin, Val Fitch et René Turlay en 1964 à travers la désintégration des kaons neutres. Cette découverte a été couronnée par un prix Nobel de physique en 1980.

L’étude des kaons est une vieille tradition au CERN. NA62 a succédé à NA48, expérience qui a établi, il y a une dizaine d’années, la violation directe de CP dans la désintégration des kaons neutres en deux pions. Un premier prolongement de l’expérience, NA48/1, a étudié la désintégration rare des K0S, tandis qu’un second, NA48/2, s’est concentré sur la recherche de violation CP et l’étude de la diffusion ππ dans la désintégration des kaons chargés.

La nouvelle expérience NA62 devrait commencer à fonctionner en 2012, avec une première exploitation technique destinée à mesurer les performances des détecteurs. À plein régime, la collaboration prévoit d’étudier environ 1013 désintégrations de kaons en 100 jours de collecte de données.

 


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par CERN Bulletin