John Ellis nous parle de cosmologie, de colloques et de nouvelles collaborations

Le 13 septembre, des physiciens du monde entier venaient entourer John Ellis pour célébrer son 65e anniversaire. Dans notre numéro précédent, nous avons évoqué avec John Ellis le Higgs, l’absence de Higgs, et les dimensions supplémentaires. Dans cette deuxième partie de l'entretien, John Ellis nous parle du colloque et des différents sujets qui y ont été abordés, tous inspirés par sa carrière.

 

John Ellis photographié dans son bureau (juillet 2011).

Comment est née l’idée de ce colloque ?

Lorsqu’un physicien du CERN atteint « un certain âge » – ou un certain point dans sa carrière – il est de tradition d'organiser un colloque. Jusqu’à présent, j’avais résisté aux sollicitations en ce sens. Mais cette année, mes fonctions officielles pour l’Organisation arrivent à leur terme.  Même si je pense que cela ne changera pas grand-chose à mon rythme de travail, c’est une étape importante et c’est pourquoi cette fois-ci j’ai accepté qu’on organise une manifestation.

Plutôt que de prévoir une très longue séquence d'évocation de diverses choses accomplies dans un passé lointain, j’ai demandé à mes amis d’organiser le colloque autour de ce qui se passe maintenant. Ainsi, il y a eu des discussions concernant l'avenir de la physique des particules théorique et expérimentale, et aussi une discussion très intéressante sur la cosmologie.

 

Deux domaines de la physique que vous avez contribué à rapprocher. Quand pensez-vous que les deux deviendront un seul domaine d’étude ?

Honnêtement, je considère que ces domaines de la physique des particules, de même que l’astrophysique des hautes énergies ou la cosmologie, ont déjà, pour l’essentiel, fusionné. Je ne me préoccupe pas vraiment, quand j'écris pour une publication scientifique, de savoir si j’écris un article de physique des particules ou un article de cosmologie – souvent, c’est un mélange des deux. Il y a une relation symbiotique entre les deux disciplines – l’astrophysique et la cosmologie alimentent la physique des particules, et inversement. Je suis en train d’écrire un article sur les incidences théoriques de la non-découverte de la supersymétrie – jusqu’à présent – au LHC. Cette analyse s’appuie sur l’hypothèse que la supersymétrie est à l’origine de la matière noire pour en tirer les conséquences théoriques pour les recherches en astrophysique et les expériences de cosmologie, compte tenu du fait que la supersymétrie n’a pas encore été découverte au LHC.

 

Le colloque a également évoqué l’extension des collaborations scientifiques du CERN en dehors de l’Europe. À votre avis, comment se présentera l’avenir pour les collaborateurs non européens du CERN ?

Pendant 13 ans, j’ai été conseiller auprès du Directeur général pour les États non-membres. Aujourd'hui, le E de CERN ne signifie plus vraiment « européenne » ; notre organisation a vraiment pris une dimension planétaire. De plus en plus d’États non européens sont en train de formaliser leurs relations avec l’Organisation. La première nation non européenne à le faire, Israël, a signé le 16 septembre l’accord formalisant son nouveau statut d’État membre associé de l’Organisation, dans la perspective de devenir ultérieurement État membre à part entière. D’autres États non européens – comme le Brésil et l’Inde – envisagent de devenir au moins États membres associés.

D’une certaine façon, ces nouvelles collaborations ne font que formaliser les relations existantes. Un grand nombre de ces pays envoient de longue date des physiciens au CERN, et font donc partie depuis des décennies de la communauté CERN.

Je pense que ce caractère mondial est intrinsèque à la physique des particules, car les sujets traités qui concernent tout le monde. Que vous habitiez en Afrique, en Amérique latine, en Australie, ou ailleurs, les questions fondamentales qui sont étudiées au CERN vous concernent. Quelle est la nature de la matière noire ? Comment l’Univers a-t-il évolué ? De quoi la matière est-elle faite ? Autant de questions universelles qui ne sont pas limitées par les contingences géographiques, et il est donc logique que, dans toutes les régions du monde, on trouve des gens qui veulent se pencher sur ces questions.

Par ailleurs, il apparaît de plus en plus clairement que ce type de recherche exige des ressources énormes. Actuellement, pour la communauté scientifique, il y a très peu de centres dans le monde où on peut travailler sur ces questions en étant vraiment à la pointe. Nous nous dirigeons vers une situation où nous aurons un nombre limité de laboratoires dans le monde, et chacun d’eux sera le « centre mondial » d’un type particulier de physique fondamentale. Ainsi, le CERN pourrait être le centre mondial de la physique fondée sur les collisionneurs à hautes énergies, alors qu’un autre laboratoire pourrait être le centre mondial pour la physique de précision à des énergies plus basses, un autre encore pour la physique des neutrinos, et ainsi de suite.

Lorsque nous planifions nos projets futurs, nous devons y penser comme à des projets mondiaux, dont les parties prenantes sont dispersés dans le monde entier. Certaines sont déjà membres de l’Organisation, alors que d’autres peuvent se trouver à l’extérieur, mais pourraient nous rejoindre ponctuellement pour ce projet particulier. Ce pourrait être le cas pour l’amélioration du LHC, pour le CLIC ou pour le projet ILC. Le monde est en train de devenir une famille subnucléaire…

par Katarina Anthony