ICARUS repart à la chasse aux neutrinos

ICARUS, rénové dans le cadre du projet de plateforme neutrino du CERN (CENF), s'envolera bientôt pour les États-Unis.

 

L'une des deux chambres à projection temporelle d'ICARUS rénovée dans une salle blanche du CERN. (Image : Max Brice/CERN)

Une grosse boîte, brillante, mesurant 4 mètres de hauteur sur 20 de longueur : c’est ICARUS, un magnifique détecteur arrivé au CERN il y a 16 mois, et faisant actuellement l’objet d’une rénovation complète. Ce dispositif de 760 tonnes, rempli d’argon liquide (LAr), dont la technologie a été proposée pour la première fois par Carlo Rubbia en 1977, se trouvait auparavant en Italie, plus précisément au Laboratoire du Gran Sasso de l'INFN. Entre 2010 et 2014, il a servi à étudier les oscillations de neutrinos à partir d'un faisceau de neutrinos produit au CERN. Après sa rénovation, qui doit durer au moins jusqu’à fin 2016, il sera envoyé à Chicago pour y commencer une nouvelle vie. Là, le Fermilab l’intégrera à son programme neutrino courte distance (SBN), consacré à l'étude des neutrinos stériles (voir encadré). La rénovation d’ICARUS, conduite en collaboration avec l'INFN et le Fermilab, est un volet du projet de plateforme neutrino du CERN (CENF), lancé en 2014, conformément aux recommandations de la Stratégie européenne pour la physique des particules. « La plateforme neutrino rassemble une communauté dont les membres sont éparpillés aux quatre coins du monde, commente Marzio Nessi, chef de projet pour le programme neutrino du CERN. Le CERN a consacré des ressources considérables à la R&D dans tous les aspects de la recherche sur les neutrinos, et ICARUS est le premier à bénéficier de ce programme, en vue de sa rénovation. »

Le détecteur ICARUS est constitué de deux modules remplis d’argon liquide d’une grande pureté. Dans chaque module, un plan cathodique (au centre) est associé à des chambres à fils (une de chaque côté) pour former une chambre à projection temporelle (TPC). Lorsque le volume est parcouru par une particule énergétique, celle-ci produit un rayonnement ionisant sur son passage. Les électrons ainsi créés dérivent vers les côtés des détecteurs, où trois plans de fils parallèles enregistrent leur moment d’arrivée et leur position. En combinant la position de ces électrons avec leur durée de dérive, établie à l’aide de photomultiplicateurs placés après les plans de fils, il est possible de reconstituer une image en trois dimensions de l’événement.

Complète rénovation du détecteur ICARUS
La campagne de rénovation touche plusieurs parties de l’expérience. Des photomultiplicateurs de nouvelle génération, plus efficaces, ont été installés. Ces éléments sont essentiels car la pulsation du faisceau de neutrinos du Fermilab, qui enverra des neutrinos vers la chaîne de détecteurs du programme neutrino courte distance, ne prend que quelques microsecondes, tandis que la durée de dérive des électrons dans la chambre se compte en millisecondes. Dans l’intervalle, d’autres particules, comme les rayons cosmiques, peuvent traverser le détecteur et s’accumuler dans le système de lecture. Les photomultiplicateurs pourront éliminer les événements indésirables, sans rapport avec le faisceau.

De plus, étant donné que la particule ionisante libère une quantité d’électrons extrêmement faible, des composants électroniques de grande qualité sont essentiels pour distinguer ces derniers du bruit de fond. L’électronique a été complètement repensée dans les laboratoires de l’INFN ; ainsi, on dispose de nouveaux amplificateurs de signaux et d’un meilleur rapport signal-bruit.

Le cryostat d'ICARUS est pivoté pour que la soudure en aluminium puisse être effectuée à plat. (Image : Max Brice/CERN)

En outre, le plan cathodique métallique situé au milieu du détecteur a été lissé au millimètre près pour garantir une uniformité parfaite du champ électrique. C’est important si l’on veut réussir à mesurer l’impulsion, par le biais d’une diffusion multiple des particules à forte énergie qui s'échappent du détecteur.  

Enfin, le système assurant la recirculation et la purification de l’argon a également été amélioré. Afin d'empêcher les électrons d'ionisation de se recombiner avec des impuretés ambiantes (surtout de l'oxygène, du dioxyde de carbone et des molécules d’eau), il faut un degré élevé de pureté, d’un niveau supérieur à 0,1 partie par milliard. ICARUS possède un double système de recyclage, qui a été rénové par le groupe Cryogénie du CERN.

« Améliorer les performances d’un détecteur qui fonctionnait déjà très bien dans le laboratoire souterrain du Gran Sasso a été extrêmement exigeant à bien des égards, explique Claudio Montanari, coordinateur technique d’ICARUS. En effet, pour qu’il puisse être pleinement opérationnel en surface, il nous a fallu repenser de nombreux aspects, comme l’acquisition de données, l’élimination du bruit de fond, la synchronisation et la reconstruction des événements. »

Un vrai challenge : des soudures en aluminium d'une grande qualité
L’ingénierie du cryostat constitue un deuxième volet, tout aussi essentiel, du projet de rénovation. Il a été décidé de construire le cryostat en aluminium, principalement pour des raisons logistiques, mais cette décision s’accompagne de nombreux défis. Tout d’abord, il est souvent plus complexe de réaliser une soudure en aluminium qu’en acier inoxydable, car elle doit être faite à plat pour que son efficacité soit la meilleure possible. Ensuite, la soudure doit être d’une grande vté afin d’éviter d’introduire des impuretés supplémentaires, indésirables, dans l’appareil. Enfin, le module du cryostat est à peine plus grand que le détecteur : sur une longueur de 20 mètres, la tolérance est de l’ordre de quelques millimètres. Le groupe Ingénierie mécanique et des matériaux du CERN, sous la direction de Francesco Bertinelli, se charge de pré-assembler les panneaux extrudés de 4 mètres sur 4, de les juxtaposer et de les souder par point avec quelques nervures de soutien. Dans le but d’obtenir une soudure propre et de bonne qualité, l’équipe va faire pivoter l’ensemble du cryostat pré-assemblé, comme sur une broche géante, pour pouvoir toujours souder à plat. À la fin du processus, qui prendra plusieurs mois, le cryostat sera prêt à accueillir le détecteur. « Les travaux d’assemblage du cryostat illustrent parfaitement la manière dont se fait le travail d'équipe au CERN, souligne Francesco Bertinelli. Les membres du groupe sont très différents les uns des autres de par leur profil, leurs compétences, leur nationalité, leur culture et leur langue, mais nous travaillons tous en étroite collaboration pour atteindre notre but commun. »

Quand le cryostat sera prêt, il faudra le sortir du bâtiment où il se trouve actuellement, l’amener en face de la salle blanche abritant le détecteur, et assembler les deux parties. Début 2017, un convoi exceptionnel le transportera jusqu'au Fermilab, où il commencera une nouvelle aventure.
 


Timelapse de la rotation du cryostat d'ICARUS. (Par Maximilien Brice/CERN)
 

Le programme neutrino courte distance (SBN)

Le programme neutrino courte distance a été approuvé à la suite des résultats inattendus obtenus par les expériences détecteur de neutrinos à scintillateur liquide (LSND) et MiniBooNE au cours des dernières décennies. Ces résultats ne concordent pas avec le Modèle standard de la physique des particules, qui ne comporte que trois types (« saveurs ») de neutrinos. En effet, l’expérience LSND a signalé des indices de l'existence d'un quatrième type de neutrino ; quant à l’expérience MiniBooNE, celle-ci a observé au Fermilab, avec la même ligne de faisceau qui sera utilisée pour le programme SBN, un excès d'événements de particules à basse énergie. Certaines théories attribuent ce comportement des neutrinos, étrange à première vue, à la présence d'une quatrième saveur, stérile, de neutrino. Les expériences du programme neutrino courte distance visent à lever le voile sur ce mystère.

 

par Stefania Pandolfi