Rafael Armenteros (1922-2004)

Rafael Armenteros nous a quittés le vendredi 5 mars, laissant sa famille et ses amis dans une profonde tristesse. Il avait débuté sa carrière de chercheur à l'Université de Manchester, participé à l'observation de rayons cosmiques au laboratoire du Pic du Midi avec les Professeurs Blackett et Butler, puis collaboré aux recherches de l'Ecole Polytechnique avec l'équipe du Professeur Leprince-Ringuet : Gregory, Lagarrigue, Muller et Peyrou, avant de rejoindre au CERN ce dernier, devenu chef de la Division Chambres à traces (TC).
Dans cette première phase de sa vie professionnelle, il fut directement associé à la découverte de nombreuses particules élémentaires dont deux particules neutres étranges - Lambda et K0 - et à l'observation de la désintégration du Xi minus en Lambda et Pi minus. Il participa ensuite aux expériences de chambre à bulles, les plus fameuses conduites au CERN, dont il fut l'un des maîtres d'oeuvre jusqu'à la dernière. Après l'exceptionnelle moisson scientifique des années 60, on y défrichait encore un champ riche de nouvelles particules. Rafael fut ainsi le co-auteur de nombreuses contributions reconnues mondialement dans le domaine de la spectroscopie des mésons, de l'annihilation des protons-antiprotons et de la compréhension des interactions fortes. Il co-développa la technique de sélection d'événements dite « Armenteros-Podolanski plot », encore utilisée de nos jours en physique des ions lourds. On se souvient aussi, facétie de l'ordre alphabétique, qu'Alvarez et Armenteros étaient alors les physiciens des particules les plus cités.



Il faut se rappeler qu'à cette époque les collaborateurs d'une expérience de physique se comptaient sur les dix doigts, ce qui était une chance, car il était alors possible de participer personnellement à une expérience d'un bout à l'autre : de la saisie photographique d'événements jusqu'à leur interprétation physique. Les analyses expérimentales se conduisaient en petits groupes. Rafael savait merveilleusement animer, guider par son enthousiasme, sa chaleur humaine les jeunes étudiants et doctorants dans leur premier pas dans la physique. S'étonnant avec eux de toute observation nouvelle, il paraissait s'inspirer en permanence d'un de ses poètes espagnols préférés, Antonio Machado, qui prétendait que : «caminante no hay camino, se hace camino al andar» (quand tu marches, ne cherche pas le chemin, fais ton chemin en marchant).
Rafael Armenteros portait en lui le drame de son pays, la guerre civile de 1936-1939 et une frustration immense après le triomphe de la dictature. La République Espagnole prit en charge ses études supérieures au Royaume-Uni et Rafael devint l'un de ces « Grands d'Espagne » en exil qui apportèrent d'importantes contributions à la culture mondiale.
Vers la fin des années 70, à l'aube d'une nouvelle époque pour l'Espagne, Rafael décida de rentrer, après une longue absence, dans son pays natal, non sans une grande émotion. A partir de ce moment, il aida résolument à planifier le développement de la physique des particules espagnole. Ses voyages dans son pays se multiplièrent et il put se féliciter intérieurement d'avoir pleinement participé au retour de l'Espagne au CERN.
Parmi les nombreux souvenirs qu'il laisse, reste une image familière : celle de soirées passées dans son bureau sans raison précise, si ce n'est un sentiment de satisfaction, lié au progrès dans une analyse. On devisait entre collègues, un verre d'excellent rioja à la main, lui, tirant des bouffées généreuses de sa pipe. Il s'en dégageait une atmosphère de sérénité où, sans vraiment le réaliser, chacun ressentait un bien-être simple, celui d'une communication amicale autour de lui.
Avec Rafael Armenteros, nous perdons l'un des physiciens de l'époque pionnière du CERN, de ceux qui furent les acteurs des premières découvertes qui contribuèrent à établir la renommée du Laboratoire. Nous perdons aussi un ami, avec qui nous avons partagé des heures enrichissantes, inoubliables.

Ses amis et collègues