TOTEM teste le premier pot romain

TOTEM, l'une des plus petites expériences du LHC, a effectué le 3 novembre son premier essai, concluant, des détecteurs «pots romains». En tout, huit pots romains seront installés dans le LHC à proximité de la caverne de CMS.


Marco Oriunno, ingénieur projet de TOTEM (à droite), avec Jean-Michel Lacroix TS/MME (Ingénierie mécanique et des matériaux), posent derrière l'un des détecteurs «pot romain».

Il existe sur les terres du CERN une petite tribu, caractérisée par ses rochers peints de couleurs vives, un totem fait de cartons, et quelques pots romains. La collaboration, de taille relativement modeste par rapport aux grandes expériences LHC, est connue sous le nom de TOTEM, qui signifie «Total Elastic and diffractive cross-section measurement» (mesure des sections efficaces totales, élastiques et diffractives); telle est la devise de cette tribu, qui compte quelque 50 membres.

Contrairement aux quatre grandes expériences qui analyseront les nouvelles particules produites par les collisions, TOTEM s'intéressera aux collisions qui ont failli ne pas se produire. Quand les paquets de protons se déplaçant en sens opposé atteignent le point de collision, tous les protons n'entrent pas en collision frontale. Certains se frôlent, d'autres se croisent. Ceux qui ne feront qu'effleurer un autre proton seront déviés très légèrement dans leur trajectoire - ce sont les particules à petits angles, que TOTEM étudiera au moyen de détecteurs spéciaux appelés «pots romains».

On les appelle romains parce qu'ils ont été inventés au début des années 70 par le groupe du CERN à Rome, qui les a utilisés pour les expériences de physique menées aux ISR (anneaux de stockage à intersections), le premier collisionneur proton-proton de hautes énergies du monde. Les petits détecteurs sont logés dans des récipients cylindriques appelés «pots». «Les pots romains sont une spécialité du CERN. Depuis leur invention, ils sont utilisés dans des laboratoires du monde entier,» explique Marco Oriunno, ingénieur de projet pour TOTEM. Les particules à petits angles permettent de mesurer le taux de collision totale, ou section efficace, à l'intérieur d'un collisionneur. Plus les pots romains sont situés près de la trajectoire du faisceau, plus les résultats seront précis. «Grâce à différentes améliorations, on atteindra un niveau de précision sans précédent», poursuit Marco. «Nous avons modernisé la conception initiale, grâce à des caractéristiques nouvelles, notamment les fenêtres d'acier inoxydable très mince - moins de 150 microns d'épaisseur - la planéité des fenêtres - moins de 30 microns - et la précision du mécanisme moteur qui amène les pots à proximité du faisceau. Un prototype a été piloté au SPS en 2004.» Au LHC, les pots romains recueilleront les données à une distance de 800 microns du faisceau. Pour cette prouesse technologique, il a fallu rassembler au cours de la phase de conception les compétences pluridisciplinaires de différents départements: physique expérimentale au département de physique (PH), physique du vide au département Technologie des accélérateurs (AT), génie mécanique au département Support technique (TS), et enfin moteurs, systèmes de contrôle et études radiofréquence au département Accélérateurs et faisceaux (AB).

Les pots romains utilisés pour les expériences de TOTEM sont fabriqués par VakuumPraha à Prague, selon des spécifications élaborées par Jean-Michel Lacroix au CERN. L'Académie des sciences de la République tchèque est l'un des collaborateurs de TOTEM; cette institution contribue à l'expérimentation et au financement de la production des détecteurs. Les autres collaborateurs sont le CERN et différentes universités: trois italiennes, deux étasuniennes, une finlandaise, une polonaise, une estonienne et une britannique.

Dans la configuration définitive, huit pots romains seront placés par paires dans quatre emplacements du point 5 (Cessy) dans le LHC. Il existe deux stations à chaque extrémité du détecteur de CMS, situées à 147 m et 220 m du point de collision (point d'interaction 5). Même si TOTEM et CMS sont des expériences indépendantes du point de vue scientifique, la technique du pot romain permettra de compléter les résultats obtenus par le détecteur CMS et les autres détecteurs du LHC. L'expérience ATLAS utilisera également deux pots romains dont la conception est fondée sur le modèle élaboré par TOTEM, avec de légères adaptations.

Le premier essai de pot romain réalisé par TOTEM le 3 novembre a été un grand succès. Sept autres seront acheminés au CERN d'ici aux fêtes de fin d'année; ils y seront assemblés, puis soumis à des tests en laboratoire. Il y a sept ans, avant le début des travaux de génie civil pour la caverne de CMS, des pots de fabrication romaine datant du IIIe siècle de notre ère ont été découverts sur le site. Quand les détecteurs seront installés en souterrain au printemps 2007, la tribu TOTEM écrira un nouveau chapitre de l'histoire locale: les pots romains, qui nous ont ouvert une fenêtre sur l'Antiquité, pourraient maintenant nous ramener à la naissance de l'Univers...