Franco Bonaudi 1928-2008




La célèbre photo marquant les premières interactions dans les ISR en 1971. Kjell Johnsen est au micro, Franco Bonaudi se tient à l’extrême gauche.

Franco Bonaudi, l’un des véritables pionniers des accélérateurs du CERN, s’est éteint le 21 décembre 2008.

En 1951, Franco est un jeune ingénieur et un chercheur qui se spécialise dans l’électronique et la radiofréquence à l’École polytechnique de Turin. C’est à cette époque qu’Edoardo Amaldi, l’un des pères fondateurs du CERN, lui propose de travailler pour l’organisation provisoire qui deviendra le CERN (Organisation européenne pour la Recherche nucléaire). Bien décidé à relever le défi, il part pour Liverpool en juillet 1952 travailler avec le groupe d’étude de Cornelius Bakker sur le Synchrocyclotron (SC) de 600 MeV, le premier accélérateur du CERN. Il y restera deux ans avant de rejoindre les autres membres du personnel fraîchement engagés par le CERN dans le hangar de l’aéroport de Genève, qui abrite alors temporairement la Division SC, près du site de Meyrin qui vient d’être attribué à l’Organisation. La conception du SC avance rapidement. Chargé de la coordination et de l’installation de la machine, Franco est le premier membre du personnel à s’installer dans une baraque au centre du site de construction de Meyrin. Le SC est achevé rapidement et son exploitation commence en 1957. Deux ans plus tard, Franco rejoint l’équipe qui travaille sur le Synchrotron à protons (PS), où il est responsable du groupe d’appui aux physiciens chargé notamment de l’installation du blindage à muons du premier faisceau de neutrinos du CERN à l’aide de lingots de fer prêtés par le gouvernement suisse.

En 1963, alors que la construction de l’accélérateur linéaire de 20 GeV de Stanford commence tout juste, Franco part un an au SLAC aider à la conception des zones d’expérimentation. Fort d’une riche expérience, il contribue amplement aux travaux de conception pour le blindage antiradiation destiné à protéger le personnel et les équipements, ainsi que pour la distribution des services annexes dans toutes les zones d’expérimentation du SLAC. Il participe activement aux réunions de physique qui permettront de mettre sur pied le programme naissant de physique expérimentale du SLAC, et il contribuera plus tard au lancement du fructueux programme d’échange de physiciens et d’ingénieurs entre le SLAC et le CERN.

De retour au CERN, il définit les futures zones d’expérimentation des anneaux de stockage à intersections (ISR) et, en 1967, il devient responsable du génie civil pour les ISR. Son groupe, connu sous le nom Implantation générale, inclura plus tard le service électrique. Les ISR verront leur premier faisceau en circulation en octobre 1970 et leurs premières collisions le 27 janvier 1971. À cette occasion, Franco fut photographié aux côtés de Kjell Johnsen – l’un des clichés les plus célèbres du CERN. N’oublions pas que Franco était d’un naturel modeste, ce qui explique que, malgré sa participation au plus haut niveau à un nombre important de réalisations du CERN, il apparaît rarement sur de telles photos. Alors que l’installation des expériences dans le tunnel des ISR commence, Franco crée le groupe Assistance pour les expériences aux ISR, qui apporte une aide variée aux nombreuses expériences menées aux ISR, de la conception de supports et d’outils d’installation, à l’infrastructure des détecteurs, en passant par la construction d’aimants.

Après une année à la tête de la Division ISR (en 1973), Franco occupera le poste de directeur des accélérateurs de 1976 à 1978. C’est au cours de cette période cruciale que l’idée de Carlo Rubbia d’utiliser le SPS comme collisionneur p-pbar commence à se concrétiser, et qu’il est prouvé à l’aide de l’anneau d’expérimentation ICE que le refroidissement stochastique de Simon Van der Meer peut être utilisé et qu’un accumulateur d’antiprotons performant peut être construit. Mais Franco ne s’est jamais senti à l’aise au sein du Directoire, «au 6e étage» comme il l’appelle. Il préfère de loin travailler directement aux côtés de ses collègues physiciens et ingénieurs à des activités pratiques comme tester les photomultiplicateurs du calorimètre central de l’expérience UA2 sur le collisionneur p-pbar. Rejoignant la collaboration UA2, dirigée par Pierre Darriulat, il participe ainsi à la découverte du W et du Z qui, en 1984, vaudra le prix Nobel à deux physiciens du CERN.

Il n’est pas surprenant que l’on ait rapidement eu besoin de l’expérience et du talent de Franco pour le Grand collisionneur électron-positon (LEP). Ainsi, Emilio Picasso, le nouveau chef du projet, lui demande de rejoindre l’équipe de direction du LEP et de prendre en charge la conception et la construction des zones d’expérimentation. Les zones d’expérimentation achevées, son groupe continuera d’apporter un appui considérable aux quatre expériences LEP tout au long de leur installation, en attachant une attention particulière à tous les aspects de sécurité. En 1989, alors que les faisceaux du LEP circulent à merveille et que les expériences enregistrent des données, Franco commence à penser à une retraite bien méritée, qui s’approche à grands pas. Avant celle-ci, il devient toutefois secrétaire scientifique du Comité de recherche et développement sur les détecteurs (DRDC), un nouvel organe qui donne des avis à la Commission de la recherche et au Directeur général sur les nombreux projets de développement de détecteurs dans la perspective des collisions à 14 TeV au LHC.

Franco a pris sa retraite du CERN en mars 1993, mais est resté actif dans les domaines scientifique et humanitaire, en particulier en Italie, son pays natal, où il était membre du comité consultatif DaΦne, donnait des conférences et a, de nombreuses années durant, apporté ses contributions aux programmes des étudiants et des boursiers. Tout au long de ses 41 années consacrées au CERN, il a conservé un caractère résolument calme et empreint de modestie. Toujours prêt à apporter son aide, il était également honnête et juste: un chef et un ami formidable. Son altruisme était évident. Ainsi, il a activement aidé son ami de toujours, le regretté Sergio Fubini, à mettre sur pied avec Eliezer Rabinovici un «pont de la paix» scientifique au Moyen-Orient - une entreprise qui a abouti à la création en Jordanie du laboratoire du rayonnement synchrotron SESAME.

Il profitait pleinement de la vie, appréciait la musique et les arts, et connaissait ses classiques en matière de cinéma. Toujours curieux et ayant de multiples centres d’intérêt, il excellait dans l’art de la conversation. Fasciné par le langage et par les langues, il a appris le suisse allemand et le russe, alors qu’il parlait déjà presque parfaitement l’anglais, le français, l’allemand, l’italien et le piémontais (dialecte de sa région d’origine). Même lorsqu’il a appris que ses essoufflements n’étaient pas simplement dus à ses 80 ans, mais étaient le signe d’une affection plus sérieuse, il est resté positif et enjoué, curieux vis-à-vis de son traitement et continuant à se préoccuper davantage des autres que de lui-même. Franco était un Cernois modèle, un exemple pour nous tous et il nous manquera beaucoup. «Si monumentum requiris circumspice» soit, en d’autres termes: «Le souvenir de Franco Bonaudi, vous le verrez partout au CERN.»

Ses amis et collègues