La vie est belle à 13 TeV

La deuxième période d’exploitation du LHC débutera en 2015 ; les faisceaux de protons atteindront alors l’énergie de 6,5 TeV et des collisions pourront se produire à 13 TeV. Maintenant qu'ils ont découvert le boson de Higgs, que cherchent les physiciens ?

 

La vie au-delà de la découverte du boson de Higgs est pleine de promesses. « Lorsque nous recherchions le boson de Higgs, nous savions qu’il serait difficile à trouver, mais nous savions aussi où le chercher et de quelle manière, souligne Ignatios Antoniadis, chef de l’unité Théorie du département de physique du CERN. Les tests de précision des paramètres de la théorie électrofaible au LEP et auprès d’autres expériences indiquaient déjà que le boson de Higgs devait exister et qu’il devait être léger, se situant pas très loin des limites du LEP. Maintenant que nous avons complété le puzzle du Modèle standard, nous entrons sur un territoire totalement inexploré. »

Ce nouveau territoire correspond à ce que les scientifiques appellent la « physique au-delà du Modèle standard ». Il regorge de questions encore sans réponse, parmi lesquelles : De quoi est faite la matière noire ? Pourquoi l’Univers n’est fait que de matière et ne contient aucune trace d’antimatière ? Existe-t-il de nouveaux bosons scalaires semblables au Higgs ? Comment peut-on expliquer la différence de masses et de mélanges entre quarks et leptons de différentes générations ? La supersymétrie existe-t-elle dans la nature ? Le graviton existe-t-il et pourquoi la gravitation est-elle si faible par rapport aux autres interactions fondamentales connues ? Le monde dans lequel nous vivons contient-il 10 ou 11 dimensions ?

Il est extrêmement difficile de répondre à ces questions, tant du point de vue expérimental que théorique. Toutefois, les physiciens disposent d’un atout. « Même si chacun de ces phénomènes peut être interprété à l’aide de divers modèles théoriques, nombre d’entre eux ont un point commun : s’ils existent dans la nature, leur signature dans nos détecteurs sera liée à ce que l’on appelle "l'énergie manquante" », précise Ignatios.

L’ « énergie manquante » désigne le phénomène qui se produit lorsqu’il y a différence d’énergie au début et à la fin d’un processus donné. « Dans le Modèle standard, cette différence est liée aux neutrinos, ces particules qui s’échappent du détecteur sans laisser de traces, explique Ignatios. Toutefois, en ce qui concerne la physique au-delà du Modèle standard, l’énergie manquante pourrait aussi être la signature de nombreuses particules non découvertes, parmi lesquelles les particules massives interagissant faiblement, ou WIMP, qui sont de très sérieux candidats pour la matière noire. Si les WIMP existent, les collisions à 13 TeV pourraient les révéler et ce serait alors un autre pas de géant. »

Puisqu’aucun modèle théorique supersymétrique n’a encore été exclu, les collisions de haute énergie pourraient aussi révéler à terme les partenaires supersymétriques, du moins les plus légers d’entre eux. L’ « énergie manquante » pourrait aussi être le signe de la disparition du graviton dans des dimensions supplémentaires, ou de l’existence d’autres particules exotiques. « De nombreuses possibilités s’offrent à nous, ce qui signifie que nous devrons mettre de côté nos vieux modèles pour traiter les données expérimentales, et élaborer un cadre théorique qui nous montre où chercher et comment, ajoute Ignatios. Nous devrons analyser les données sans a priori et indépendamment de tout modèle existant. Grâce aux récents résultats obtenus, nous connaissons maintenant si bien le Modèle standard que, si nous observons une source inconnue d'énergie manquante, il y a de fortes chances pour que nous soyons en présence d’une nouvelle physique. »

Des bosons scalaires supplémentaires – des parents du boson de Higgs – viennent s’ajouter aux innombrables perspectives qui s’ouvriront lors de la deuxième période d’exploitation du LHC. « La théorie ne limite pas le nombre total de champs scalaires qui pourraient exister dans la nature, conclut Ignatios. Il aura fallu 40 années de progrès technologiques et de recherche fondamentale pour trouver le premier. Qui sait ? Les suivants existent peut-être bien, et peut-être seront-ils faciles à trouver ! »

par Antonella Del Rosso