CAST explore la face obscure de l’Univers

Après la quête des axions, candidats à la matière noire, CAST élargit son horizon scientifique avec la recherche des caméléons, particules postulées pour expliquer l’énergie sombre. 

 

En se déplaçant sur ses rails, CAST, le télescope à axions solaires du CERN, suit le mouvement du Soleil une heure et demie à l’aube et une heure et demie au crépuscule.

En cette fin d’été, les géomètres ont investi le hall de CAST, le télescope à axions solaires du CERN. Pendant une dizaine de jours, ils vont parfaire l’alignement du détecteur par rapport à la position du Soleil, au millième de radian près. Depuis la seule fenêtre du hall de CAST, la course du Soleil n’est en effet visible que deux fois par an, en mars et en septembre. C’est pourquoi les physiciens profitent de ces quelques jours pour aligner précisément leur aimant.

Depuis 12 ans, le détecteur de CAST suit le mouvement du Soleil une heure et demie à l’aube et une heure et demie au crépuscule. L’expérience est à la recherche des axions solaires, des particules hypothétiques qui interagiraient très faiblement avec la matière ordinaire.


Le détecteur CAST en mouvement
(Vidéo : Madalin Rosu/collaboration CAST).

Les axions ont été postulés en 1977 pour résoudre un problème lié à la violation de la symétrie de charge-parité (voir encadré). Les axions, s’ils existent, pourraient également être de bons candidats à la matière noire de l’Univers, l’une des grandes énigmes de la physique contemporaine. Or, les physiciens pensent que le Soleil pourrait aussi produire des axions. C’est pourquoi CAST est pointé vers l’astre pour les capter ; toutefois, ce n’est que pour ajuster l’alignement du détecteur qu’on a besoin de la lumière visible.

Le dispositif expérimental de CAST repose sur un aimant du LHC reconverti en télescope. Sous l’effet du champ magnétique intense de l’aimant, les axions (s’ils existent) se transforment en photons dans la gamme des rayons X. Les détecteurs de rayons X à chaque extrémité de l’aimant permettent de détecter les photons au lever et au coucher du soleil. Un excès de rayons X par rapport au bruit de fond pourrait indiquer la présence d’axions.

Cette expérience d’astroparticules, qui fut la première dans ce domaine au CERN, n’a pas (encore) détecté d’axions solaires. Mais, au fil des évolutions de son détecteur, elle a établi la limite la plus restrictive sur la constante de couplage axion-photon, c’est à dire la probabilité de transformation d'un axion en un photon (ou l'inverse) dans un champ magnétique. « CAST est devenu la référence mondiale dans la recherche des axions, indique Konstantin Zioutas, porte-parole de l’expérience. Mais nous sommes parvenus aux limites des recherches d’axions solaires que nous pouvons effectuer avec notre dispositif. »

Antje Behrens, du groupe de métrologie du CERN, Giovanni Cantatore, porte-parole adjoint de CAST, et Marin Karuza, de l'expérience CAST, alignent le détecteur.

Aussi, CAST mettra un point final à sa chasse aux axions solaires fin 2015. « Toutefois, nous avons déjà orienté notre expérience vers un nouveau domaine de recherche, l’énergie sombre, explique Konstantin Zioutas. C’est une tradition au CERN de lancer longtemps à l’avance les programmes de recherche futurs pour prendre le temps de développer de nouveau détecteurs et motiver les nouveaux collaborateurs. »

La collaboration compte traquer un autre type de particules hypothétiques, les caméléons, des candidats à l’énergie sombre (voir encadré). L’énergie sombre représenterait près de 70 % de l’énergie de l’Univers et serait à l’origine de l’accélération de l’expansion que l’on observe dans le cosmos. Au cours des 10 dernières années, des théories ont été développées pour élucider la nature de l’énergie sombre, faisant intervenir de nouvelles particules comme les caméléons.

Si les caméléons existent, ils pourraient, comme les axions, être convertis en rayons X sous l’effet d’un champ magnétique puissant. La théorie prédit que des caméléons seraient produits par le Soleil. Cependant, l’énergie des rayons X produits par ces caméléons solaires serait près de dix fois plus faible que celle des rayons X produits par les axions solaires. Au cours des deux années passées, la collaboration a donc installé à l’extrémité de son aimant de nouveaux détecteurs à rayons X, dotés d’un seuil d’énergie plus bas. Le premier est un détecteur au silicium SSD (Silicon Drift Detector, détecteur à dérive en silicium), le second est un détecteur gazeux InGRID (Integrated Grid). Intégrant la technologie Micromégas sur silicium, ce détecteur InGRID est également très performant aux basses énergies.

CAST prépare également un mode complémentaire de détection des caméléons, par la pression qu’exercerait leur flux sur une surface solide. La collaboration termine le développement d’un capteur opto-mécanique novateur utilisant une membrane ultra-mince, de 100 nanomètres d’épaisseur. « Elle sera capable de détecter un déplacement de l’ordre de 10-15 mètres, soit la taille d’un noyau d’atome, se félicite Giovanni Cantatore, porte-parole adjoint de CAST. C’est une sensibilité comparable à celle des antennes interférométriques de détection des ondes gravitationnelles. »

Le déplacement de la membrane est décelé par un procédé d’interférométrie optique (interféromètre Fabry-Perrot). Un prototype de ce détecteur à faible coût fonctionne déjà à l’INFN de Trieste. Baptisé KWISP (Kinetic Weakly Interacting Slim Particles detection, détection cinétique de particules légères soumises à l’interaction faible), le détecteur devrait être installé sur l’aimant de CAST au début de l’année prochaine.

CAST a soumis l’ensemble de son programme scientifique au Comité des expériences SPSC qui se réunira en octobre.


Pour en savoir plus sur le détecteur à rayons X InGRID (disponible en anglais uniquement), rendez-vous ici.
Pour en savoir plus sur le capteur de pression KWISP (disponible en anglais uniquement), rendez-vous ici.

Les axions lavent plus blanc

La violation de symétrie charge-parité (violation de CP), qui expliquerait l’asymétrie matière-antimatière, n’a été observée que dans des processus liés à l’interaction faible. Or la chromodynamique quantique (QCD), théorie de l’interaction forte, prévoirait également l’existence de cette violation. Mais, jusqu’à présent, la violation de CP avec l’interaction forte n’a pas été observée. D’où le développement d’une théorie qui résoud ce problème tout en prévoyant l’existence de particules encore non détectées, les axions. Le physicien Frank Wilczek a baptisé les axions d’après le nom d’une marque de lessive, car leur existence permettrait de « nettoyer » la théorie.

 

Un Univers peuplé de caméléons ?

Selon le modèle des caméléons, un champ scalaire serait à l’origine de l’énergie sombre qui entraîne l’accélération de l’expansion de l’Univers. Les champs scalaires dits « caméléons » interagiraient à la manière d’une cinquième force et en fonction de la densité de matière rencontrée. Si la densité est faible, la force se manifeste à longue portée et explique l’accélération de l’expansion de l’Univers. Si la densité est importante, la portée de l’interaction est si petite qu’elle ne serait pratiquement pas mesurable, comme sur la Terre. De spin 0, les particules caméléons seraient les manifestations de ce champ scalaire, un peu comme le boson de Higgs prouve l’existence du champ scalaire Brout-Englert-Higgs.

 

par Corinne Pralavorio