Paroles de physiciennes...

Pourquoi les femmes sont-elles si mal représentées dans les sciences? Quelles solutions envisager? Les hommes et les femmes doivent-ils relever des défis différents au fil d'une carrière scientifique? C'est ce que nous avons demandé à quelques femmes scientifiques. Les réponses qu'elles nous ont données, tout comme leurs parcours, sont d'une grande diversité.

 

Margarete Muehlleitner est physicienne théoricienne, Maître de conférence à l'université française et titulaire d'une bourse dans le groupe théorie du CERN. D'origine allemande, elle observe que, dans son pays, «On trouve peu de femmes qui poursuivent des études de physique jusqu'à la maîtrise, et après c'est encore pire», explique-t-elle. «À ma connaissance, à peu près 1% des postes de professeurs de physique à l'université seraient occupés par des femmes, et cela n'a pas beaucoup évolué en un siècle!», poursuit-elle. Deux problèmes seraient à l'origine de ce profond déséquilibre, selon elle. «Les femmes ne pensent pas qu'elles sont capables de faire carrière dans la physique ou les mathématiques, explique-t-elle. Je pensais personnellement que j'étais trop stupide pour y arriver et je n'osais pas me lancer dans cette voie. J'ai d'ailleurs poursuivi une année d'études d'ingénieur avant de finalement oser faire de la physique.» À ce problème de mentalité s'ajoute celui des structures d'accueil de la petite enfance, quasiment inexistantes en Allemagne. «Il est tout simplement impossible en Allemagne d'avoir des enfants et de poursuivre une carrière scientifique pour laquelle il faut s'investir à 150%, remarque-t-elle. J'ai eu de la chance de rencontrer un mari qui a accepté de me suivre et est resté deux ans à la maison pour s'occuper de notre enfant tout en poursuivant ses études.» La maternité est une phase délicate pour une femme qui veut poursuivre sa carrière scientifique. «J'ai eu peur de perdre pied, je suis allée aux conférences durant mon congé de maternité», remarque-t-elle. Selon elle, un effort de pédagogie serait primordial en Allemagne pour expliquer aux jeunes filles, dès les études secondaires, qu'elles sont capables, tout comme les hommes, de poursuivre des études scientifiques.

 

Pippa Wells, née au Royaume-Uni, est physicienne au CERN et Chef de projet du trajectographe à semi-conducteurs d'ATLAS. Elle est parvenue à équilibrer vie professionnelle et vie familiale en ayant trois enfants au terme de son cursus postdoctoral, après avoir trouvé un emploi stable dans son domaine. À ses yeux, les difficultés que rencontrent les femmes souhaitant faire carrière en physique sont d'ordre logistique: avoir des enfants et s'en occuper pendant leurs premières années. Les périodes creuses dans le CV d'une candidate peuvent être dissuasives pour des recruteurs potentiels, même si elles s'expliquent par des congés maternité. Cela dit, selon Pippa Wells, ces considérations ne devraient pas intervenir lors du choix de la profession. Les questions que devraient se poser les étudiantes intéressées par la physique sont: «La branche est-elle intéressante?» et «M'inspire-t-elle?». Selon elle, celles qui sont tentées ne devraient pas hésiter.

 

Géraldine Servant est physicienne théoricienne au CEA-Saclay (France), en détachement au CERN où elle est titulaire d'une bourse. S'il y a moins de femmes que d'hommes qui s'orientent vers la physique, c'est un problème culturel et d'éducation, selon elle. «Il faudrait intervenir dès l'adolescence, au collège, pour montrer que les carrières scientifiques sont également pour les femmes», estime-t-elle. Les longues études, puis les bourses qu'il faut souvent enchaîner avant de décrocher un poste fixe, en changeant d'endroit tous les deux ou trois ans, rendent une stabilisation familiale difficile. «C'est la difficulté pour les femmes, mais aussi pour les hommes, souligne Géraldine. Lorsqu'on choisit de faire une carrière scientifique, on doit être conscient qu'on ne peut généralement pas se stabiliser avant 35 ans. La plupart des jeunes théoriciens que je connais n'ont pas d'enfants et beaucoup sont célibataires. »

 

Etiennette Auffray Hillemanns est physicienne au CERN. Arrivée au CERN comme étudiante doctorante en 1992, elle a gravi tous les échelons, décrochant un poste permanent fin 2005. «C'est vrai que durant mes études j'ai constaté un déséquilibre entre hommes et femmes. Dans mon école d'ingénieur, les filles, moins nombreuses, choisissaient en général la chimie en troisième année au détriment de la physique.» «C'est certainement un problème culturel», ajoute-t-elle. Au CERN, Etiennette n'a jamais ressenti aucun problème ou aucune discrimination du fait qu'elle était une femme. «Au contraire, on m'a confié très vite des responsabilités», souligne-t-elle. Mère de deux petites filles, elle explique que lorsque l'on a des enfants, ce sont les problèmes liés à l'organisation et à la logistique qui sont difficiles à gérer.

 

Francesca Cavallari est physicienne à l'Institut national italien pour la physique nucléaire (INFN) et membre de la collaboration CMS. Selon elle, même s'il y a plus de femmes qui poursuivent des études scientifiques en Italie que dans d'autres pays européens, ces dernières s'orientent en général plutôt vers l'enseignement que vers la recherche. «C'est dommage, regrette-t-elle, car les femmes ont des qualités utiles pour la recherche. Elles ont plus de patience et de constance. Il faudrait un équilibre homme-femme.» Dans le cadre de sa carrière, Francesca n'a jamais ressenti de discrimination, mais elle observe qu'il y a parfois une appréhension vis-à-vis des capacités des femmes dans des secteurs considérés, à tort, comme «masculins», comme l'électronique ou tout ce qui touche au matériel lourd. «Il y a un manque de confiance implicite, explique-t-elle, Il faut vite montrer que l'on est capable, et après cela fonctionne.» Francesca pense qu'il manque de femmes à des postes de responsabilité dans la recherche, notamment au CERN. «À l'INFN, mon chef, Marcella Diemoz, est une femme, mais c'est une exception dans la recherche. Le fait d'avoir des femmes à des postes de responsabilité pourrait encourager les jeunes femmes à poursuivre dans cette voie. »

 

Heidi Sandaker est boursière au CERN et travaille sur les mesures du détecteur interne et du solénoïde d'ATLAS. Née en Norvège, où elle a fait ses études, elle estime que la physique est un domaine idéal pour les femmes du fait de la diversité des postes proposés: «La physique est parfaite pour les femmes: vous êtes amenée à travailler avec votre tête, mais sans oublier vos mains... Vous pourrez vous consacrer à la physique fondamentale, à la physique théorique, à la physique appliquée, aux mathématiques, à toutes sortes d'activités informatiques... Bref, vous aurez l'embarras du choix!» Heidi Sandaker estime n'avoir jamais fait l'objet de discrimination parce qu'elle est une femme. «Notre manière d'argumenter est peut-être différente, mais, si nos arguments tiennent la route, ils sont jugés à leur juste valeur. Au bout du compte, c'est le meilleur argument qui l'emporte - dans la perspective du détecteur. Si vous cherchez une carrière variée pour une femme, la physique est un excellent choix! »

 

Pour Pauline Gagnon, physicienne travaillant pour ATLAS, l'un des problèmes des femmes est l'accès aux postes à responsabilité. Elle estime que le nombre des femmes occupant des postes élevés aurait dû augmenter, car davantage de femmes travaillent aujourd'hui dans les domaines scientifiques. Or, bien que 40% des postes de recherche soient en moyenne occupés par des femmes dans l'Union européenne, une étude récente a révélé que, en 2004, les femmes n'occupaient que 11,3% des postes de haut niveau dans les sciences naturelles et seulement 5,8% en technologie et en ingénierie. Loin de baisser les bras, Pauline Gagnon s'est associée à d'autres femmes d'ATLAS pour constituer le «Réseau des femmes d'ATLAS» (ATLAS Women's Network), qui déjeunent ensemble une fois par semaine pour développer le réseau et discuter des moyens d'améliorer la situation des femmes, au sein d'ATLAS comme au CERN. Son conseil aux physiciennes en herbe? - Tenez bon! Et ne restez pas isolées! Cherchez le soutien d'autres femmes!

 

Belen Gavela, physicienne théoricienne à l'Université autonome de Madrid, fut la première femme à obtenir en 1989 un poste de membre du personnel CERN dans la théorie. Depuis, deux autres théoriciennes seulement ont obtenu un poste CERN dans ce domaine. Belen pense qu'il persiste une discrimination dissimulée dont l'une des conséquences est que les femmes n'accèdent pas aux postes de responsabilité. À ce titre, elle a un jugement très dur, notamment vis à vis du CERN, et estime par ailleurs que lorsqu'elle était au Laboratoire «rien n'était par exemple mis en place pour permettre aux femmes de faire garder leurs enfants.» «Pendant longtemps, j'ai été contre la discrimination positive. Mais je me rends compte qu'une telle politique est nécessaire pour inverser la tendance, que plus de femmes accèdent aux postes de responsabilité dans les sciences et donnent l'exemple aux plus jeunes.»