Les chasseurs de mouvements en action

Vibrations, déplacements, contraintes: aucun mouvement n'échappe à l'équipe de «Mesures mécaniques» du CERN. Ce laboratoire est au service des groupes pour les essais mécaniques et les transports.

Visualisation d'un mode propre d'un des bouchons du détecteur interne d'ATLAS déterminé expérimentalement.

Après l'installation des capteurs sur l'un des bouchons du détecteur interne d'ATLAS, l'équipe de «Mesures mécaniques» du CERN vérifie leur fonctionnement à distance en vue du transport.

Ils sont à l'affût de tout ce qui se déplace, s'agite, se déforme. Un déplacement, même infinitésimal, les intéresse. L'équipe des Mesures mécaniques du groupe Coordination de l'Installation (TS-IC) est en effet spécialiste de toutes les études vibratoires, que ce soit pour les études de conception, mais aussi pour les transports fragiles.

Créé en 1973, le laboratoire s'était quelque peu assoupi à la fin du siècle, avant que l'activité ne soit relancée pour les besoins du LHC. À l'aide de multiples capteurs et outils informatiques, l'équipe étudie tous les mouvements en situations réelles: contraintes, vibrations, déplacements, flambages. Les objectifs vont de l'aide à la connaissance de structures (chambres à vide, détecteurs de physique, etc.), à la validation expérimentale de calculs numériques ou à l'assistance lors de transport d'objets particulièrement fragiles.

Alors que le LHC est en pleine installation, l'équipe est particulièrement sollicitée. Tous les éléments de la machine LHC, et notamment les aimants, sont équipés d'enregistreurs d'accélération autonomes lors de leurs multiples transports en surface et dans le tunnel. «Il s'agit notamment d'éviter un cisaillement au niveau des pieds cryogéniques qui supportent les masses froides dans les cryostats», explique Michael Guinchard, responsable du laboratoire. Rien qu'en 2006, 6300 aimants ont été ainsi instrumentés. Tous les enregistrements sont analysés et intégrés dans une base de données afin d'assurer le suivi. Cette activité mobilise deux personnes à plein temps.

L'équipe est également de tous les grands transports pour les expériences, truffant les fragiles détecteurs de capteurs et mesurant en temps réel les accélérations, les inclinaisons, les températures et l'hygrométrie. Du spectaculaire transport du détecteur Cherenkov de LHCb à la TPC d'ALICE, en passant par les trajectographes d'ATLAS ou de CMS, l'équipe veille à ce que les précieux détecteurs ne soient pas endommagés lors du transport et de l'installation.

Un grand champ d'étude connexe est celui des analyses modales expérimentales. L'analyse modale permet d'obtenir une caractérisation dynamique de la structure: chaque structure a en effet ses propres fréquences de résonance (fréquences pour lesquelles l'amplitude de la réponse du système est très supérieure à l'amplitude de l'excitation) et ses propres modes de vibration (la manière dont la structure se déforme). Cette analyse est primordiale pour garantir un fonctionnement optimal des sous-ensembles de la machine et des détecteurs. La précision micrométrique recherchée des détecteurs pourrait être dégradée par les vibrations d'équipements annexes (pompes, système de ventilation, etc.).

Elle est également indispensable pour assurer des manutentions dans les meilleures conditions. «Grâce à ces analyses, on apprend à connaître le comportement des structures. On sait alors éviter les vibrations qui leur seraient nuisibles, souligne Michael Guinchard.» Les excitations de l'environnement ne doivent par exemple pas coïncider avec l'un des modes propres: c'est le phénomène du pont qui se met à vibrer dangereusement lorsqu'une troupe de soldats marche au pas. Pour le transport des bouchons du détecteur interne d'ATLAS (le SCT et le TRT), une détermination des modes propres a ainsi été menée (voir illustration). Cette analyse permet de déterminer les points critiques de la structure où les accéléromètres seront ensuite placés. Pendant le transport, le système de contrôle sans fil permettra de vérifier que l'inclinaison n'est jamais supérieure à 1° et que l'accélération ne dépasse jamais 0,1 g (g étant l'accélération de la gravité sur Terre, soit 9,81 ms-2) aux fréquences propres des détecteurs.

Le laboratoire a encore d'autres activités à son actif. Il a par exemple contribué à la conception des aimants du LHC: des jauges de contraintes et capacitives ont permis d'étudier les contraintes générées dans les masses froides en opération (voir «Le saviez-vous»). Son intervention permet également d'ajuster des calculs numériques réalisés par les bureaux d'études au moyen des mesures expérimentales.

Accéléromètre miniature installé à l'extrémité d'une carte du VELO (Vertex Locator) de LHCb en novembre 2006.

Le saviez-vous?

Pour mener à bien ses études, le laboratoire fait appel à quatre grandes familles de capteurs. Les accéléromètres mesurent les accélérations et sont particulièrement mis à contribution lors des transports. Les capteurs de déplacement évaluent une variation angulaire ou axiale. Ils sont par exemple utilisés lors des déplacements des anneaux de CMS afin de vérifier les inclinaisons des anneaux au moment des insertions. Les jauges de contraintes permettent de mesurer des allongements micrométriques à la surface de pièces afin de déterminer les niveaux des contraintes mécaniques Ces capteurs sont souvent utilisés pour valider les calculs. Les jauges capacitives mesurent des compressions. À ce titre, le CERN a développé une jauge tout à fait innovante. Constitué d'un sandwich de KaptonTM et d'acier inoxydable, le capteur est insensible au champ magnétique, fonctionne même aux températures cryogéniques, et peut prendre la forme et la taille voulues. Son fonctionnement est très ingénieux: le capteur est en fait un condensateur, les fines plaques d'acier jouant le rôle d'électrodes et le KaptonTM étant le matériau diélectrique. Lorsqu'une contrainte est appliquée sur la surface du capteur, la distance entre les électrodes diminue et la capacité du condensateur varie proportionnellement.