Matière-antimatière : la balance s'équilibre

Grâce à son dispositif expérimental novateur, la collaboration nippo-européenne ASACUSA est parvenue récemment à mesurer la masse des antiprotons avec un niveau de précision encore jamais atteint. Ces résultats ont été obtenus en utilisant des techniques de mesure laser de très haute précision.

 

Masaki Hori, un des physiciens d'ASACUSA, ajuste le système optique des faisceaux laser.

On ne mesure pas l’antiproton en le posant sur le plateau d’une balance. D’ailleurs, ce n’est pas son poids (c’est-à-dire la force gravitationnelle que la Terre exerce sur lui) que les scientifiques cherchent à mesurer, mais bien sa masse. De plus, l’unité de référence n’est pas le kilogramme, mais la masse de l’électron. Du point de vue technique, ce n’est pas chose facile, surtout lorsque l’on cherche à atteindre un niveau de précision inédit.

Dans le cadre de l’expérience ASACUSA, deux faisceaux laser ultra-haute précision de sens inverses frappent simultanément un atome d’hélium antiprotonique, qui se différencie de l’atome d’hélium classique par la présence d’un antiproton et d’un électron au lieu de deux électrons en orbite autour du noyau. Les chercheurs ont réglé les fréquences laser de façon à faire sauter l’antiproton d’un niveau d’énergie à un autre. En mesurant avec précision ces deux énergies, les chercheurs d’ASACUSA ont pu calculer le rapport entre la masse de l’antiproton et celle de l’électron. « C’est la première fois que la technique à deux lasers est utilisée sur des atomes antiprotoniques. Son intérêt réside dans le fait que le premier photon excite l’antiproton pour l’amener à un niveau d’énergie intermédiaire virtuel (c’est-à-dire un niveau d’énergie qui n’est pas admis par la mécanique quantique), tandis que le deuxième photon achève la transition vers le niveau d’énergie réel le plus proche. Sur ce principe, il est possible de mesurer la masse du proton avec une très grande précision en utilisant des lasers de puissance relativement faible », explique Masaki Hori, physicien d’ASACUSA et concepteur du dispositif à deux lasers.

Il s’avère que l’antiproton a la même masse que le proton (toujours mesurée par rapport à la masse de l’électron) ; tout du moins au niveau de précision atteint par ASACUSA. La marge d’erreur du résultat obtenu par ASACUSA n’est que de 1,3 milliardième, à peu près la même que pour le rapport de masse proton-électron. Étant donné que la collaboration espère faire encore mieux à l’avenir, l’antiproton pourrait bientôt être mieux connu que le proton. Dans ce cas, on serait peut-être amené à redéfinir l’une des constantes fondamentales du monde à partir de mesures effectuées sur l’antimonde (encore inobservé à ce jour).

Pour réaliser ces mesures, l’expérience ASACUSA utilise des antiprotons fabriqués par le Décélérateur d’antiprotons, l’usine à antimatière du CERN, qui les amène à une vitesse suffisamment faible pour qu’ils puissent être projetés dans la cible d’hélium de l’expérience, où ils se substituent spontanément aux électrons dans les atomes d’hélium. La durée de vie dans la cible de ces atomes antiprotoniques se compte en microsecondes, ce qui est largement suffisant pour effectuer des études de spectroscopie laser. « Les lasers d’ASACUSA sont des pièces uniques par leur cohérence de phase exceptionnelle et leur très grande fiabilité, explique Masaki Hori. Nous avons été en mesure de développer ces deux lasers grâce à une collaboration avec le groupe de Munich dirigé par Théodor Hänsch, lauréat du prix Nobel de physique en 2005 pour l’invention du peigne de fréquence optique, une technique utilisée pour mesurer les fréquences de la lumière avec une grande précision. Un exemplaire de cet appareil est maintenant installé au CERN, ce qui nous a permis d’effectuer une mesure très précise de la masse de l’antiproton. »

Le résultat obtenu récemment par ASACUSA arrive après une longue période d’essais des performances de l’expérience et marque le début d’une série d’études que la collaboration prévoit de réaliser dans les prochaines années. Les travaux menés par ASACUSA et les autres expériences auprès de l’AD nous permettront sans aucun doute d’en apprendre un peu plus sur les propriétés de l’antimatière.


par CERN Bulletin