Beaucoup de bruit pour… rien - l’exploration du vide au LHC
Le vide n’est pas vide. Otez tout ce que vous pouvez d’une région de l’espace et elle continuera de grouiller d’activité. Une profusion de particules et des champs omniprésents remplissent l’espace de leur énergie. Un espace vide possède même une masse. En fait, l’étude de ce « rien » peut presque tout nous enseigner sur l’Univers dans lequel nous vivons.
Plantons le décor
Le pompage des 54 km de l’enceinte à vide du LHC y produit l’un des meilleurs vides que l’homme puisse créer : la pression atmosphérique est plus élevée sur la Lune que dans le LHC. En soi, cet exploit technique mérite qu’on s’y attarde, mais le vide que nous vous demandons ici d’imaginer est d’une nature totalement différente. Il correspond tout simplement à la plus totale vacuité permise par les lois de la nature.
Le vide se définit comme l’état physique de plus basse énergie possible. « Plus basse possible » ne veut pas dire nulle. En effet, il existe dans ce vide des particules et des champs qui tous peuvent être considérés en termes d’énergie. Si, parmi ces composantes du vide, certaines sont constantes, d’autres fluctuent furieusement du fait du flou inhérent aux théories quantiques. Ces différentes contributions se combinent pour faire du vide un lieu tout à fait trépidant.
La troupe des particules
Les lois de la mécanique quantique permettent aux particules d’apparaître et de disparaître sur des durées trop courtes pour être détectables. Plus ces particules « virtuelles » sont massives, et plus leur vie est brève. Ce flou quantique anime le vide d’une constante effervescence de particules et d’antiparticules.
En outre, la chromodynamique quantique, théorie qui sous-tend l’interaction forte, apporte dans le vide un effet nettement plus tangible, en permettant l’existence de paires quark-antiquark dans ce qu’on nomme un condensat chiral. Cette condensation est l’un des phénomènes qui confèrent de la masse aux particules et, ce faisant, elle augmente encore l’énergie du vide.
Le condensat chiral a été étudié au LHC dans les collisions d’ions plomb, car leurs hautes températures permettent d’explorer, dans l’expérience ALICE, les conditions régnant dans l’univers primordial quand l’effet de condensation a commencé à opérer.
Le saviez-vous ? |
Le premier rôle - le Higgs
Les fluctuations de l’activité des champs quantiques ne sont pas les seules à remplir le vide, on y trouve aussi un ingrédient plus consistant : le champ de Higgs, omniprésent et permanent, même dans ce vide. C’est lui qui explique les différentes masses de toutes les particules fondamentales. La découverte de la particule associée – le boson de Higgs - apporterait la preuve définitive de l’existence du champ de Higgs et, après les signes prometteurs venus d’ATLAS et de CMS en décembre dernier, les résultats des données de 2012 sont attendus avec impatience.
À l'affût dans les coulisses : la supersymétrie
Quels que soient cette année les résultats relatifs au Higgs, ils n’apporteront certainement pas la dernière des surprises que nous réserve le vide. L’activité incessante des particules virtuelles nous conduit à nous interroger sur une énigme non résolue, car, bien qu’elles ne soient pas directement détectables, ces particules n’en interagissent pas moins avec le champ de Higgs. La mécanique quantique permet toutes sortes d’interactions virtuelles. En fait, la contribution totale à l’énergie du vide de toutes les interactions possibles des particules virtuelles lourdes avec le champ de Higgs devrait être infinie.
Certaines théories telles que la supersymétrie tentent de résoudre ce problème. Selon la supersymétrie, les particules interagissent dans un cadre multidimensionnel peuplé de mondes qui restent cachés à notre regard. Il en résulte qu’à haute énergie la théorie exclut les contributions infinies des particules virtuelles à l’énergie du vide.
Des indices confirmant cette théorie pourraient se manifester au LHC. Les expérimentateurs recherchent les signes de toute la famille de particules nouvelles qu’elle prédit. Leur absence à ce jour dans les données du LHC signifie seulement qu’un certain sous-ensemble de ces modèles a été éliminé, pas que la théorie a été réfutée.
À guichets fermés - l'énergie noire
La puissance du néant ne se limite pas au monde infinitésimal des particules, on peut l’observer à l’échelle cosmique. Bien que minuscule au niveau du laboratoire, l’énergie du vide devient considérable à l’échelle du cosmos, où d’énormes vides spatiaux ne contiennent que de minuscules points de matière. En effet, c’est l’énergie du vide – prise dans son ensemble, on l’appelle énergie noire – qui cause l’accélération toujours croissante de l’expansion de l’univers. Le prix Nobel de physique de l’an dernier a été décerné aux astronomes qui ont réalisé les premières mesures à grande échelle de cette accélération en étudiant la lumière émise dans certaines explosions d’étoiles ou supernovas.
Ces mesures sont à l’origine de l’un des plus grands mystères de la physique actuelle. Le rythme auquel l’univers accélère ne correspond pas à celui que nous pouvons calculer s’agissant du vide que l'on connaît. Et l’écart n’est pas mince ! Les observations de supernovas semblent indiquer que l’énergie du vide est de plus de 20 ordres de grandeur inférieure à celle que l’on attendrait compte tenu des particules et des champs connus. La pièce manquante du puzzle sera inextricablement liée à notre compréhension de l’Univers à la fois aux très petites et aux très grandes échelles.
Voilà donc la nombreuse troupe des particules et des champs que renferme le vide, et le LHC pourrait encore l’élargir. Aussi, tout comme dans la pièce de Shakespeare, on s’agite beaucoup au CERN à propos de ce « rien ». Mais, alors que l’œuvre de Shakespeare est une comédie, ici au CERN, il s’agit plutôt d’un polar des plus palpitants. Tandis que le LHC égrène à nouveau ses données, attendez-vous à une année pleine de hauts et de bas, d’aventures et de suspense, où l’on verra périr d’audacieuses théories tandis que de nouvelles particules accapareront le devant de la scène.
par Emma Sanders