Où en est-on de la recherche de la matière noire ?

L’observation du mouvement et de la distribution des étoiles et des galaxies nous a appris que 24% de l’Univers est constitué de matière noire, un type de matière inconnu dont l’origine est l’un des principaux mystères de la nature. Les scientifiques du monde entier sont en train d’essayer des méthodes expérimentales d’identification des particules de cette matière insaisissable. Combien de temps ces particules resteront-elles obscures ? Comment les expériences du LHC peuvent-elles participer à la course à la découverte ?

 

Figure 1 : Des particules de matière noire produites au LHC auraient toutes les chances de ne pas être détectées par les expériences. Toutefois, l’événement devrait être accompagné d’une « impulsion manquante », qui pourrait être une signature de la matière noire. Dans le cadre d’un modèle simple pour la production de matière noire, l'analyse de CMS vient compléter de façon intéressante la sensibilité des expériences de recherche directe. En particulier, CMS est sensible dans la région des masses faibles, au-dessous de 3,5 GeV (les régions situées au-dessus des courbes sont exclues). Source : CMS Collaboration, arXiv e-print: 1204.0821.

Le nom lui-même indique qu’il s’agit de matière « invisible ». Identifier la matière noire n’est pas une mince affaire. À ce jour, on ne fait que déduire son existence des observations cosmologiques du mouvement et de la répartition des étoiles et des galaxies, qui ne peuvent s'expliquer que si l'on suppose qu'il y a là « quelque chose de nouveau ». Ce « quelque chose » ne peut être de la matière ordinaire, car nous l’observerions alors par nos dispositifs existants.

Étant donné l’importance de la question, une grande partie de la communauté scientifique s’efforce de trouver la meilleure façon d’explorer ce mystère. Même si nous n’avons pas de réponse définitive, il semble que la solution ne soit pas loin. Du moins, si la matière noire est faite de particules massives interagissant faiblement (dites « WIMP ») qui sont, pour les physiciens, les meilleures candidates pour la matière noire. « Voilà un moment très important pour la recherche de la matière noire, explique Marco Cirelli, de l’unité Théorie du CERN. Les expériences produisent des données à une cadence étonnante. Certaines donnent des indications très prometteuses, et d'autres arrivent progressivement à fixer les limites des régions où nous serions encore en mesure de trouver ces WIMP. La situation évolue littéralement jour après jour. C’est parfois compliqué à suivre, mais c’est peut-être mieux : les grandes avancées scientifiques sont souvent précédées par une certaine confusion. »

Les expériences s’efforcent de trouver la matière noire essentiellement de deux façons : directement, en observant le recul des noyaux qui pourrait être causé par les particules de matière noire heurtant des atomes de matière ordinaire ; et indirectement, en observant des transformations, par exemple l’annihilation de particules de matière noire produisant des rayons gamma. Dans la première catégorie, nous trouvons des expériences telles que Xenon, DAMA, CoGeNT et CRESST ; dans la deuxième catégorie, nous trouvons les expériences de l'espace Pamela, Fermi et AMS. Quant aux expériences du LHC, elles pourraient être en mesure d’observer de nouvelles particules - telles que celles prédites par la supersymétrie ou par les théories prédisant des dimensions supplémentaires – qui sont de très bonnes candidates à la matière noire. « En principe, il est possible de combiner les données issues du LHC et celles d’autres expériences, explique Marco Cirelli. Toutefois, cela suppose de choisir un modèle théorique bien défini pour décrire les interactions entre les particules de matière noire et les quarks qui constituent les protons circulant dans le LHC. » Ce n'est pas simple à réaliser, mais c'est ce qu'ont récemment réussi à faire CMS et ATLAS, comme l'explique la figure 1.

Figure 2 : Excédent de rayons gamma de 130 GeV émanant du centre de la galaxie, récemment observé dans les données venant de l'observatoire spatial Fermi (visible dans la courbe en rouge). Il pourrait s’agir d’une signature de particules de matière noire de la même masse. Bien que ce résultat soit très intéressant, et très prometteur, il demande à être approfondi pour qu'on puisse l'interpréter correctement. Source : Christoph Weniger, arXiv e-print: 1204.2797 (in press on JCAP).

Des nouvelles de la matière noire nous arrivent aussi de l'espace. Des données récentes provenant de l’observatoire spatial Fermi ont montré un signal qui pourrait être interprété comme une signature de particules de matière noire : un excédent du nombre de rayons gamma à 130 GeV en provenance du centre de la galaxie (voir figure 2). Un tel signal pourrait être produit par l'annihilation de ces mystérieuses particules. « Il est trop tôt pour qu’on puisse apporter une quelconque conclusion à ce sujet, précise Marco Cirelli. Il nous faut plus de données, et les scientifiques doivent pouvoir comprendre l’origine du signal, et déterminer si la même observation peut être faite dans différentes régions de l’Univers. »

Dans ce scénario complexe, il y a une chose sur laquelle les scientifiques semblent s’accorder : le boson récemment découvert, comme sa masse relativement petite, semblent pointer vers une nouvelle physique qui ne devrait pas être hors d'atteinte des expériences du LHC. « Si la matière noire est vraiment faite de WIMP, nous devrions être capables d'identifier ces particules au cours des prochaines années d'activité expérimentale », confirme Marco Cirelli. Et si les WIMP n’existent pas ? Eh bien, dans ce cas, une grande partie de l'approche expérimentale devra être repensée...

par Antonella Del Rosso