La physique à 13 TeV : CMS - explorer l’inconnu

La collaboration CMS s’apprête à utiliser son détecteur ultra-précis pour explorer les nombreux territoires inconnus de la physique qui peuvent exister au-delà du Modèle standard. En point de mire, la recherche de signes de la production de matière noire.

 

Fait intéressant, pour pouvoir observer de la matière noire ou de nouvelles particules soumises à l’interaction faible, il faudra avoir détecté qu’une certaine énergie semble avoir disparu lors des collisions de protons qui se produiront de nouveau au LHC. Pouvoir mesurer et expliquer cette « énergie manquante » sera une étape décisive dans cette optique. « Une grande quantité d’énergie manquante est la signature de nombreux processus de physique au-delà du Modèle standard. Toutefois, ce n’est pas la seule signature intéressante que nous pourrons exploiter lorsque des collisions pourront avoir lieu à la nouvelle énergie », explique Luca Malgeri, coordinateur pour la physique à CMS.

Parmi les aspects intéressants qui ne sont pas liés à l’énergie manquante, on peut citer les résonances de masse élevée, qui sont signalées par des pics dans les spectres de distribution de masses invariantes de paires de jets de leptons ou de hadrons. « Les pics des résonances de masse élevée sont étroitement liés à l’énergie qui est disponible lors des collisions, souligne Luca Malgeri. La probabilité pour que des objets de masse élevée soient créés est bien plus grande lors de collisions à 13 TeV que lors de la première période d’exploitation, lorsque l’énergie de collision était de 7 ou 8 TeV. »

Des études théoriques confirment également que les sections efficaces standard, autrement dit les probabilités d’interactions, pour la production de particules du Modèle standard seront entre 1,5 et 2 fois supérieures dans une exploitation à 13 TeV. Pour les expériences, cela se traduit par un débit d’acquisition de données plus rapide. « Durant les premières semaines d'exploitation à faible luminosité, nous pourrons nous familiariser avec notre détecteur et, en particulier, avec les améliorations que nous avons apportées durant le long arrêt, explique Luca Malgeri. Par la suite, si tout se passe bien, quelques semaines d’acquisition de données devraient nous suffire pour observer, si elles existent, les premières nouvelles particules lourdes, notamment la Z prime, une particule prédite par de nombreuses théories, qui devrait nous donner des indications sur la manière dont les forces sont liées les unes aux autres. »

Alors que des objets de masse élevée seront très bientôt à la portée des expériences polyvalentes après le redémarrage, il faudra peut-être des mois, voire des années de fine analyse avant que les physiciens ne voient apparaître d’autres particules sur leurs écrans. « Certaines théories prédisent l’existence de particules dont les signatures (par exemple, de longues chaînes de désintégration dont les états finaux sont plusieurs jets de leptons ou de hadrons de basse énergie) sont difficiles à distinguer de signaux du Modèle standard. Ce type d’information exigera un grand volume de données ainsi que de longues études », confirme-t-il.

Puisque explorer l’inconnu signifie ne pas savoir ce que nous cherchons exactement, CMS a l’intention d’examiner des stratégies permettant aux scientifiques de rechercher potentiellement n’importe quel objet présentant une signature non standard. « Étant donné que la capacité de stockage de données est finie, nous ne pouvons pas enregistrer sur des disques toutes les données brutes que nous acquérons, explique Luca Malgeri. Si nous le faisions, nous stockerions des milliers de téraoctets par jour ! C’est pourquoi les expériences utilisent le système de déclenchement pour sélectionner rapidement les informations qu’elles souhaitent enregistrer. Mais, étant donné que nous explorons un territoire inconnu, nous risquons, en procédant ainsi, de perdre des informations intéressantes. Pour éviter cela, CMS envisage la possibilité d'exécuter des algorithmes de fouille de données au niveau du déclenchement. Ces algorithmes étaient déjà utilisés lors de l’exploitation précédente de notre détecteur. Ils scrutent les événements qui seraient normalement rejetés du fait qu’ils sont dominés par des processus non intéressants et enregistrent des informations minimales à leur sujet à une vitesse très élevée. Si nous trouvons des signatures intéressantes, nous pourrons adapter notre système de déclenchement principal afin d'examiner spécifiquement ce type d'événement. »

Doté d’outils d’analyse très performants et d’un système de déclenchement extrêmement souple, CMS est paré pour sa deuxième période d’exploitation. Le seul obstacle à surmonter serait un empilement trop élevé d’interactions. « Notre détecteur et notre système d’analyse en ligne fonctionnent très bien avec un empilement maximum de 40 à 50 interactions. En principe, il n’y aura pas de problème lors de la deuxième période d’exploitation si l’espacement de 25 ns entre les paquets de protons limite l’empilement à un niveau relativement bas. En revanche, si l’empilement devait augmenter, ce serait un peu problématique et nous devrons élaborer de nouvelles stratégies », confirme Luca Malgeri. « Nous nous préparons en vue des conditions exigeantes de la deuxième période d’exploitation. En fait, nous avons hâte de les expérimenter et de découvrir ce que la nature nous réserve après le Higgs ! », conclut-il avec enthousiasme.


Pour en savoir plus sur la physique à 13 TeV, lisez les autres articles de la série : « ALICE – gratter la surface », « ATLAS - exploiter au mieux les nouvelles données du LHC », « LHCb – une nouvelle stratégie pour le traitement de données » et « TOTEM - une nouvelle ère de collaboration avec CMS ». Pour un point de vue « théorique » sur la prochaine période d'exploitation, lisez l'article « La vie est belle à 13 TeV ».

par Antonella Del Rosso