Des frigos par centaines pour refroidir le coeur d'ATLAS

Les détecteurs utilisés pour les expériences LHC sont truffés de matériel électronique qui enregistrera les milliers de particules produites lors des collisions. Un dur labeur qui produira beaucoup de chaleur. Aussi des systèmes ont-ils été prévus pour refroidir l'électronique et éviter qu'elle ne défaille.


Des membres de la section DC dans le hall de service USA15 d'ATLAS posent derrière quatre des compresseurs utilisés pour le système de refroidissement. À gauche, on peut voir les conduites qui amènent le réfrigérant jusqu'au hall d'expérimentation puis l'évacuent. De gauche à droite: M. Battistin, P. Bonneau, C. Houd, P. Feraudet, F. Corbaz, J. Lethinen, P. Guglielmini, M. Ciclet, P. Tropea, S. Berry (M. Pimenta absent).


Un membre non identifié de la section DC :-) surveillant une partie du réseau de distribution de perfluoropropane pour le système de refroidissement par évaporation d'ATLAS.

La prochaine fois que votre ordinateur de bureau tombe en rade parce qu'il a pris un coup de chaud, ayez une pensée pour Pierre Feraudet, l'un des membres de la section Refroidissement des détecteurs (TS/CV/DC), chargé de construire les systèmes de refroidissement des détecteurs de cinq expériences LHC. Onze personnes travaillent dans cette section. Une petite équipe, responsable de la conception et de la mise en oeuvre de 27 installations différentes utilisées pour refroidir les détecteurs. Chacune d'elles a été conçue spécifiquement pour répondre à des besoins précis.

Il est indispensable d'avoir des systèmes de refroidissement fiables si l'on veut que les expériences fonctionnement sans problème. Comme l'explique Michele Battistin (chef de section): «Si tous les équipements électroniques sont intégrés dans un espace réduit sans système de refroidissement, au bout d'un moment, la chaleur qu'ils produisent finit par les faire griller. Dans un PC, où tout tient dans un caisson, un ventilateur est prévu pour évacuer la chaleur. À l'intérieur d'un détecteur, c'est comme si l'électronique de centaines de PC était enfermée dans un espace hautement confiné. En certains endroits, sans ventilation, la température peut grimper jusqu'à 5°C par seconde et griller les pièces.»

Les 27 systèmes se distinguent par leur pression de service (supérieure ou inférieure à la pression atmosphérique), leur procédé de refroidissement (monophasique ou par évaporation) et le fluide utilisé (eau ou perfluorocarbone). Les systèmes de refroidissement des détecteurs d'ALICE, d'ATLAS, de CMS et de LHCb sont maintenant achevés et sont en cours d'installation sous terre ou testés. Pour ce qui est de TOTEM, les éléments de son système de refroidissement sont en voie d'acquisition.

Le système de refroidissement par évaporation du détecteur interne d'ATLAS est le plus complexe. En fait, il fonctionne selon le même principe que le réfrigérateur de votre cuisine, utilisant l'évaporation d'un liquide pour absorber la chaleur dans un cycle à compression liquide-vapeur. Le refroidissement par évaporation est très efficace. La transpiration en est une bonne illustration: à mesure que la sueur de votre peau s'évapore, elle absorbe la chaleur et refroidit ainsi votre organisme. Dans un réfrigérateur, un flux réfrigérant déplace la chaleur d'un endroit (l'intérieur du frigo) à un autre (l'extérieur du frigo). Durant ce processus, le réfrigérant subit un changement de phase cyclique, passant ainsi de l'état liquide à l'état gazeux et vice-versa.

Le détecteur interne d'ATLAS comporte des centaines de détecteurs au silicium, ainsi que leur électronique. Ils sont regroupés dans 204 boucles de refroidissement. Chaque boucle possède sont propre système de refroidissement (son «frigo») qui peut être réglé individuellement. Les échangeurs de chaleur se trouvent directement à côté des damiers électroniques pour les refroidir. Le perfluoropropane est utilisé comme réfrigérant en raison de son caractère diélectrique et parce qu'il n'endommage pas les composants électroniques en cas de fuite. Malheureusement, il y a un hic, comme l'explique Michele Battistin: «C'est un fluide très cher, comme un grand crû». En tout, les expériences LHC auront besoin d'une dizaine de milliers de litres de perfluorocarbone.

A l'arrière d'un frigo, vous trouvez un petit compresseur. De la même manière, le hall de service d'ATLAS (USA15) abrite les compresseurs de tous les gigantesques «frigos d'ATLAS». Le système de refroidissement du détecteur interne d'ATLAS doit fixer, avec une précision de ± 0,3°C, une température de refroidissement comprise entre +20°C et -25°C. Stéphane Berry, de la section DC, est chargé de contrôler une par une les 204 unités de refroidissement - un vrai défi technique qu'il relève depuis son ordinateur portable, dans le vrombissement assourdissant de la salle des compresseurs - son «bureau» en quelque sorte. Un vacarme auquel Stéphane répond par une joyeuse indifférence: «Ce n'est rien, j'ai l'habitude. Je reste assis ici; comme cela je peux savoir à l'oreille que quelque chose ne va pas.» C'est lui qui a commandé tout le matériel des automates programmables (PLC), conçu et programmé le logiciel avec une interface visuelle, et donc doté les «frigos» de leur «cerveau».

Ce système de refroidissement particulier fait l'objet depuis juillet dernier d'essais menés en collaboration avec des physiciens. Dans la configuration définitive, sept grands compresseurs enverront le réfrigérant pressurisé dans quatre conduites qui transporteront le fluide jusque dans le hall d'expérimentation. De là, ces conduites se démultiplient en une foule de petits tuyaux en cuivre de la largeur d'un doigt, qui se frayent méticuleusement un chemin jusqu'au coeur du détecteur pour ensuite en repartir. Le raccordement des tuyaux en cuivre au coeur du détecteur se poursuit, à mesure que la construction du détecteur avance. Il faudra donc attendre le printemps 2007 pour que s'achèvent les essais du système de refroidissement.