L'été indien touche à sa fin

Au cours des quatre dernières années, des ingénieurs-techniciens indiens se sont succédés au CERN, chacun restant une année pour tester les aimants du LHC. Alors que l'exercice touche à sa fin, trois d'entre eux nous livrent leurs impressions sur cette expérience à l'étranger.


Une partie des ingénieurs-techniciens indiens dans le hall d'essai SM18.

Par une sombre nuit d'automne, une fête un peu particulière s'est déroulée dans une petite salle à l'intérieur du gigantesque hall d'essai du bâtiment SM18, l'installation d'essai des aimants du LHC. Cela pourrait bien être la dernière fois qu'une telle soirée est organisée au CERN. A l'intérieur du bâtiment, le scintillement de bougies joliment disposées illumine chaleureusement les visages des invités. Bienvenue à Diwali, la fête indienne des lumières. Ces quatre dernières années, des ingénieurs-techniciens indiens ont travaillé dans le bâtiment SM18, ont fait connaître leur famille et leurs traditions et ont apporté une touche indienne à la mixité culturelle de l'Organisation.


Le personnel travaillant au SM18 a fêté Diwali et allumé des bougies représentant les aimants devant encore être testés. Diwali a lieu le jour de la nouvelle lune, entre les mois Asvina et Kartika du calendrier hindou (en général, en octobre ou en novembre).

L'Inde collabore avec le CERN en tant qu'État non-membre. Dans le cadre d'un accord de collaboration prévoyant une contribution de ce pays à la construction de la machine LHC, celui-ci a mis à la disposition du Laboratoire des spécialistes qualifiés pour tester une grande partie des aimants cryogéniques. Une tâche considérable puisque ce sont au total 1706 aimants supraconducteurs qu'il aura fallu mettre à l'épreuve 24 heures sur 24, par roulement de trois équipes. À la fin des opérations, non moins de 90 spécialistes indiens auront été mis à contribution, la plupart pour des essais magnétiques. Comme le nombre d'aimants devant encore être éprouvés se compte désormais en dizaine, la communauté indienne du CERN se réduit, à mesure que ses membres retournent au pays.

Pour venir travailler au CERN, les ingénieurs-techniciens indiens, tous spécialistes dans leur domaine d'activité, ont dû demander un détachement de leur établissement d'origine. En Inde, Praveen Deshpande conçoit des instruments pour des accélérateurs et des lasers; Sampathkumar Raghunathan et Charudatta Kulkarni, quant à eux, participent à des travaux de recherche et de développement dans le domaine de l'instrumentation nucléaire.

Au CERN, Praveen Deshpande a surtout apprécié de pouvoir communiquer avec différents interlocuteurs «Ici, je suis en contact avec beaucoup de personnes et d'instituts, ce qui n'est pas le cas en Inde dans le petit bureau d'études où je travaille.» La logistique requise pour mettre en oeuvre des projets de grande envergure fut une révélation. «Nous avons tous été stupéfiés par la manière dont les choses sont planifiées.» «Dans des projets de cette ampleur, il est important d'avoir des modèles documentés et d'être prévoyant», ajoute Sampathkumar Raghunathan. Un impératif que reconnaît aussi Charudatta Kulkarni, qui estime également avoir appris l'importance de bien diriger.

Tester des aimants est une activité très répétitive, mais aussi étonnamment stimulante au plan intellectuel. Les ingénieurs-techniciens indiens ont fait des propositions pour optimiser le processus, qui ont été prises en compte. Les procédures sont donc améliorées en permanence. Ils ont également pu mettre à profit leur temps libre pour approfondir leurs connaissances. «Vinod Chohan (chef de l'équipe du groupe Opérations au SM18) a ainsi pu organiser un ensemble d'activités secondaires, dans la mesure où elles n'interféraient pas avec nos tâches principales, explique Charudatta Kulkarni. On nous a donné à tous le nom d'une personne travaillant au CERN dans un domaine similaire au nôtre, que nous pouvions contacter. Un bon point pour notre épanouissement intellectuel. Nous travaillons dans le secteur de la R&D. Nous devons donc nous tenir au fait des évolutions afin de ne pas être dépassé lorsque nous repartirons».

Pendant leurs jours de congé, les ingénieurs-techniciens indiens du SM18 ont organisé des visites de groupe vers des destinations touristiques. Ils ont également célébré les fêtes indiennes, comme Diwali, et même formé des équipes pour des matchs de cricket. Beaucoup sont venus avec leur famille et certains de leurs enfants ont été inscrits dans les établissements de la région. Ainsi, l'épouse de Sampathkumar Raghunathan, ses deux enfants et sa mère ont passé neuf mois en Suisse. Sa fille de sept ans a fréquenté un établissement français durant toute l'année scolaire. «Tout le monde a apprécié son séjour ici. Ma fille a également appris le français. Un atout pour elle. Elle a aimé l'aspect pratique de l'enseignement et a découvert toutes sortes d'activités.»

Même si les avantages sont évidents par rapport à un enseignement purement scolaire en Inde, la barrière de la langue peut poser des difficultés dans la vie de tous les jours. Le fils de Praveen Deshpande (six ans) ramenait parfois à la maison des documents en français pour l'école qu'il a fallu faire traduire par des francophones, souvent des collègues du CERN. «Le travail par roulement a rendu difficile un apprentissage en bonne et due forme de la langue, souligne Charudatta Kulkarni. Je regrette beaucoup de ne pas avoir pu apprendre le français.»

Après une année formidable, les ingénieurs-techniciens ont hâte de rentrer chez eux, forts d'expériences enrichissantes. Ils se souviendront avec nostalgie de la culture de travail du CERN, de leurs nouvelles amitiés et de la beauté de la nature en Suisse. Ils espèrent pouvoir mettre en pratique dans leur travail les enseignements du CERN, notamment la manière de coordonner et de gérer des projets de grande envergure. Toutefois, l'expérience dépasse de loin le simple cadre professionnel. «J'admire énormément la confiance mutuelle qui prévaut ici, pas uniquement au travail, mais dans tous les domaines. Des relations humaines de qualité, que j'aimerais pouvoir reproduire chez moi» indique Charudatta Kulkarni.

Les essais magnétiques ont favorisé les amitiés internationales et ont permis également de retrouver des amis perdus de vue. Praveen Deshpande a ainsi revu des connaissances qu'il s'était faites il y a 13 ans, alors qu'il était en formation, mais avec lesquelles il avait perdu contact. Il a même pu rencontrer des collègues qui travaillent dans le même établissement que lui en Inde, mais qu'il n'avait jamais eu l'occasion de croiser étant donné la taille de celui-ci.

Certains cernois qui ont participé aux essais des aimants ont déjà prévu une visite de groupe en Inde l'an prochain. Pour Charudatta Kulkarni, le sens de la camaraderie s'est avéré réconfortant: «Je me suis vraiment bien entendu avec mes collègues européens. Je me rends compte à présent que tous les êtres humains sont égaux et se ressemblent en dépit de certaines différences culturelles. J'ai le sentiment de pouvoir dialoguer librement avec les gens. C'est le meilleur enseignement que l'on puisse tirer.» Galvanisé par une confiance toute nouvelle, il déclare: «On a réellement l'impression d'être un poisson qui sort de son aquarium pour découvrir l'océan.»