Expériences LHC : comment fait-on des découvertes ?

Le LHC étant à nouveau pleinement opérationnel, certains imaginent peut-être que les physiciens attendent à présent que le boson de Higgs fasse son apparition dans l’une des quatre expériences pour publier un article et passer au grand mystère suivant. Cette représentation est bien différente de la réalité actuelle de la physique expérimentale des particules, où les résultats s'appuient sur des statistiques, des statistiques et toujours plus de statistiques.

 

Simulation de la décomposition du boson de Higgs en quatre muons dans le détecteur ATLAS.

En effet, les particules ne sont pratiquement jamais détectées directement. Selon la manière dont l’expérience est conçue, plusieurs centimètres peuvent séparer le point de collision de la première couche d’électronique des détecteurs. Une immensité à l’échelle des particules subatomiques. Les particules créées lors des collisions interagissent et se désintègrent avant même d’atteindre le détecteur. S’il était créé lors d’une collision dans le LHC, le boson de Higgs, par exemple, ne durerait, selon les prévisions, qu’un billionième de billionième de seconde (10-24 s) avant de se désintégrer en d’autres particules... un temps insuffisant pour être perceptible, sans parler d’atteindre le détecteur. De plus, les produits de sa désintégration pourraient eux aussi se désintégrer avant d’être détectés.

C’est seulement grâce à une analyse complète de l’enchevêtrement des particules créées lors des collisions que les physiciens peuvent commencer à supposer l’existence de quelque chose de nouveau. Avec le temps et l’observation répétée du même effet, ces suppositions peuvent gagner en probabilité. Plus les données sont abondantes, plus les résultats obtenus sont fiables. Néanmoins, on ne découvre pas de nouvelles particules à chaque collision. Loin de là ! Chercher le boson de Higgs équivaut à chercher une aiguille dans un million de bottes de foin.

Faire une découverte consiste souvent à collecter un grand nombre de données et à les reporter dans un graphique (représentant généralement le taux de production par rapport à la masse), avant d’extraire soigneusement les contributions de processus connus. On procède ainsi car, dans le détecteur, les produits de la désintégration (ou signatures) des particules déjà connues sont souvent similaires à ceux des nouvelles particules. Une fois que tous les processus connus ont été écartés, ce qui reste peut être le signe de quelque chose de nouveau.

Souvent, une annonce s’accompagne d’une valeur sigma. Celle-ci indique le niveau de certitude des physiciens quant au résultat. Par exemple, un résultat ayant un niveau de certitude de deux sigmas a 2,3 % de chances d’être faux. Pour un niveau de certitude de trois sigmas, le résultat a 0,15 % de chances d’être faux. Au-delà de trois sigmas, les physiciens commencent à ouvrir l’œil, mais le résultat ne peut pas encore être considéré comme une découverte. Pour cela, il faudrait un niveau de certitude de cinq sigmas, ce qui équivaut à une chance sur 3,4 millions que le résultat soit dû au hasard. Et même si un niveau de certitude de trois sigmas peut sembler suffisamment élevé, il ne faut pas oublier que les physiciens élaborent un nombre considérable de graphiques. En reportant 1 000 distributions différentes dans des graphiques, on a environ une chance sur mille (0,1 %) de voir dans l’un d’eux quelque chose de bizarre, sans qu’il s’agisse pour autant d’une nouvelle particule.

La clé, c’est la luminosité : plus le nombre de protons dans le LHC et le taux de collisions sont élevés, plus le nombre de données collectées et analysées par les expériences est important et plus le risque d’erreur est faible. Mais ce principe a des limites, car la valeur sigma ne fait pas tout. Les contributions de particules connues qui sont extraites des graphiques ne sont pas toujours précisément évaluées. Cette source potentielle d'erreur systématique n'est pas prise en compte dans la valeur sigma.

En outre, les choix faits par les physiciens qui dirigent l’expérience, tels que les critères qui déterminent les données à stocker et à étudier, peuvent conduire à des erreurs d’analyse. Ces choix s’appuient sur notre compréhension actuelle de la physique, qui donne des pistes quant aux possibles découvertes, mais ils ne sont pas infaillibles. La manière dont une expérience est conçue peut également biaiser les résultats.

Il est donc important de comparer les résultats obtenus par différentes équipes. Le protocole de communication du CERN prévoit qu’avant qu’un laboratoire annonce une nouvelle découverte, les responsables des autres expériences LHC puissent comparer ces résultats avec leurs propres mesures et donner leur avis.

Tout cela n’empêche en rien de s’enthousiasmer à la vue des premiers indices d’une nouvelle physique. L'important, c'est de remettre les choses dans leur contexte. Tout résultat doit être considéré avec prudence avant d’avoir été testé sur la durée et soumis à l’examen des pairs. Les excellentes performances du LHC provoquent un grand engouement au CERN, où l’on attend avec impatience les prochains résultats. Vivement la saison de conférences estivale et son lot de nouvelles publications validées par des pairs !


* 10-24 s

par Emma Sanders