Une puce aux talents multiples
Les puces Medipix développées au CERN sont utilisées dans différents domaines : la médecine, l’enseignement, la technologie de pointe… Cette technologie aux applications multiples devrait connaître un avenir prometteur.
Il n’a pas fallu longtemps à l’équipe de physiciens et d’ingénieurs qui travaillaient sur le développement des détecteurs à pixels pour le LHC pour comprendre que cette technologie pouvait avoir des applications très intéressantes dans le domaine de l’imagerie médicale. C’est ainsi qu’est né le projet Médipix. Quinze ans plus tard, et en collaboration avec 18 instituts de recherche, l’équipe a produit une version améliorée par rapport au projet initial : Medipix 3 est un dispositif qui peut mesurer très précisément la position et l’énergie des photons (un par un) venant frapper le détecteur associé.
La radiographie et la tomodensitométrie utilisent des photons de rayons X pour étudier le corps humain. Les différentes énergies des photons dans le faisceau peuvent être assimilées à des couleurs dans le spectre des rayons X. C’est pourquoi, pour désigner l’utilisation des puces Medipix3 dans ces techniques de diagnostic, on parle couramment de radiographie couleur. Les images deviennent plus nettes, plus précises et il est plus facile au médecin de distinguer entre les différents tissus (lisez l'interview en bas de page). « Notre but initial au milieu des années 90 était de mettre au point un détecteur à pixels présentant un très bon rapport signal-bruit, explique Michael Campbell, porte-parole de la collaboration Medipix3. Les puces Medipix que nous avons développées (Medipix1, Medipix2, Timepix et maintenant Medipix3) ont trouvé des applications en médecine, mais aussi en technologie des accélérateurs, et même dans le domaine de l’éducation.
De fait, les puces sont adaptées à un certain nombre d’applications différentes. Ainsi, la puce Medipix2 a été utilisée par l’expérience UA9 pour suivre de façon très précise le halo du faisceau dans la région de collimation du SPS.
Plus surprenant, la puce Timepix, dérivée de Medipix2, est utilisée dans un projet pédagogique très ambitieux animé par l’école secondaire Simon Langton, au Royaume-Uni : des groupes de collégiens utilisent les puces Timepix comme détecteurs de rayons cosmiques. Le détecteur LUCID (Langton Ultimate Cosmic ray Intensity Detector) sera lancé sur un satellite de la société Surrey Satellite Technology Limited en 2011 et pourra enregistrer les rayons cosmiques venus de l’espace. En même temps, les collégiens de différents établissements, en connectant la puce Timepix à leur ordinateur via une interface USB, créent un réseau de détecteurs de rayons cosmiques sur la Terre. Le Bulletin vous en dira plus sur cette expérience dans son prochain numéro.
Medipix semble avoir fait un aller-retour entre la physique des hautes énergies et la médecine. L’équipe de conception commence à travailler sur une nouvelle puce qui servira de prototype pour l’amélioration du localisateur de vertex de LHCb. Cette nouvelle utilisation vient après des applications très diverses : radiographie bêta et gamma d’échantillons biologiques, analyse de matériaux (avec un partenaire industriel), contrôle de la mise hors service d’une centrale nucléaire, microscopie électronique ou encore optique adaptative pertinente pour les grands télescopes terrestres.
Entretien avec Anthony Butler, radiologue à l’Université d’Otago Christchurch et à l’Université de Canterbury (Nouvelle-Zélande), à la tête du projet de recherche en radiologie pour Medipix.
Bulletin CERN : À votre avis, qu’est-ce que la technologie de radiographie couleur va apporter aux patients ?
Plusieurs choses :
1) Une utilisation plus efficace des produits de contraste, c’est-à-dire des produits pharmaceutiques utilisés pour la radiographie.
Actuellement, pous les examens radiographiques, nous utilisons des substances qui apparaissent à la radiographie. Ces substances apparaissent comme des zones « denses » ou « brillantes » sur les appareils actuels. Sur les systèmes couleur comme Medipix3, ces substances ont leur propre couleur de rayon X.
C’est intéressant pour plusieurs raisons :
- cela pourrait permettre de réduire la dose de produit. C’est un plus pour le patient, parce que ces produits sont toxiques pour le rein, en particulier pour les diabétiques et les personnes âgées.
- il devient possible de distinguer le produit de contraste des autres objets brillants. C’est important par exemple dans les cas de maladie des vaisseaux sanguins dans lesquels soit l'os, soit le calcium du vaisseau gêne l’identification du produit.
- il sera possible d’utiliser dans un même examen plusieurs produits de contraste. C’est important, car, souvent, le radiologue voudrait administrer les produits pharmaceutiques à différents moments et suivre séparément leur diffusion dans le corps. Par exemple, pour l’imagerie rénale, un des produits de contraste doit être administré 15 minutes avant l'examen et un autre doit être administré 30 secondes avant l'examen. Sur les systèmes actuels, on doit procéder à plusieurs examens. Avec la radiographie couleur, on peut administrer plusieurs produits à différents moments, et les produits peuvent être distingués par leur couleur de rayons X.
2) Un taux plus réduit d’artefacts.
Les artefacts se produisent souvent parce que la qualité ou la couleur des rayons X se modifie en passant à travers le corps. Les dispositifs tels que Medipix permettent de mesurer cet effet, et donc de le corriger, ce qui améliore la qualité de l’image.
3) De nouveaux produits de contraste pharmacologiques.
Le développement de nouveaux produits de contraste, ayant des couleurs de rayons X spécifiques, est en cours. Par exemple, certaines équipes travaillent sur le marquage des cellules cancéreuses par des produits pharmaceutiques présentant des couleurs spécifiques. D’autres groupes travaillent sur des produits pharmaceutiques qui marquent les enzymes (par exemple l’ECA) dans le système de régulation de la tension artérielle
4) Meilleure distinction des tissus.
Souvent, dans un tissu mince, il y a deux objets qui ont l’air très semblables sur une radiographie classique. C’est le cas du calcium et du fer dans les parois des vaisseaux sanguins malades. On utilise Medipix pour mieux distinguer ces deux éléments. Le but est de mieux prédire la stabilité de la paroi du vaisseau malade, ce qui permettra de mieux traiter certaines pathologies cardiovasculaires.
par Francesco Poppi