16 fils d’argent pour assembler 350 kg de cuivre

Le premier module quadripôle à radio fréquence (RFQ) du futur accélérateur linéaire LINAC4 vient d’être assemblé par la section Assemblage et Formage du CERN. La technique utilisée est celle du brasage sous vide. L’opération se fait au micron près et avec un passage au four à 800 degrés où rien ne se passe par hasard.

Serge Mathot (EN/MME) et son équipe ont utilisé la technique du brasage sous vide pour assembler le premier module RFQ du futur LINAC4.

Le futur LINAC4 utilisera quatre types de structures accélératrices chacune adaptée à l’énergie croissante du faisceau. L’accélération et la focalisation au démarrage sont assurées par trois modules de quadripôles à radiofréquence (voir encadré). « Les modules sont des pièces complexes. Nous avons été obligés de fabriquer chaque module en 4 parties, qui correspondent aux 4 électrodes, explique Serge Mathot, physicien spécialiste du brasage sous vide au département Ingénierie (EN). Pour remplir correctement leurs fonctions, elles doivent être alignées avec une grande précision, de l’ordre de quelques microns. Il faut donc usiner, puis assembler avec méticulosité. »

Quatre fils d'un alliage d'argent sont déposés dans des gorges sur quatre des surfaces à assembler.

Pour assembler les quatre parties du RFQ, Serge et ses collègues ont utilisé la technique du brasage sous vide (voir encadré). Seize fils d’un alliage contenant de l’argent ont été déposés sur les surfaces à assembler (voir photo). La brasure se fait en introduisant le tout dans un four sous vide, ensuite chauffé jusqu’ à environ 800°C : à la montée de la température, les 16 fils fondent et connectent ainsi les parties entre elles, maintenant solidaires près de 350 kg de cuivre. « Le problème est que chaque pièce d’un mètre de long s’allonge de presque 16 mm quand elle est chaude. Et elle doit revenir à sa position avec une précision de quelques microns, explique Serge. De plus, on ne doit rester que quelques minutes au-dessus de 800°C, sinon la brasure risque de trop couler et se placer à des endroits non voulus, par exemple les surfaces intérieures où passent les particules… » Une erreur de quelques degrés ou un temps trop long d’exposition à la haute température et l’argent se met à déborder, compromettant ainsi le fonctionnement de la cavité. En effet, bien que l’alliage d’argent utilisé au CERN permette une brasure optimale, c’est aussi un matériau qui émet beaucoup d’électrons lorsqu’il est soumis à un champ électrique, comme la radiofréquence qui parcourt les électrodes.

L’assemblage du premier module RFQ a été un succès. « On n’avait jamais brasé de pièces aussi grandes avec une aussi bonne précision. C’est un très bon résultat pour toutes les équipes qui ont travaillé sur ce projet ! », s’enthousiasme Serge. Car, même si au CERN on utilise des fours depuis plus de 50 ans pour braser une multitude de composants pour les accélérateurs et les expériences, le brasage du RFQ du LINAC a été grandement facilité par le nouveau four sous vide récemment acquis. Plusieurs mois d’études préliminaires et tests ont ensuite permis de déterminer exactement le comportement des différents matériaux pendant le traitement à haute température.

La prochaine étape est la pose des brides sur le module, qui permettront l’assemblage de celui-ci avec les deux autres, dont la fabrication suivra prochainement. La réalisation du LINAC4 avance selon le planning. La mise en service du nouvel accélérateur est prévue pour 2014 et sa connexion au complexe d’accélérateurs pour début 2015.


 
Qu’est-ce-qu’un RFQ ?

Chacune des quatre électrodes possède une modulation sur sa longueur.

Un RFQ (Radio frequency quadrupole) assure l’accélération et la focalisation du faisceau de particules au tout début d’un accélérateur linéaire. Il est constitué de quatre électrodes et sa particularité, par rapport à un quadripôle magnétique classique, tels ceux que l’on retrouve juste avant les points d’interaction du LHC, est le fait que la focalisation soit obtenue en utilisant un champ électrique à radiofréquence qui change alternativement de signe sur les électrodes (voir photo). Le champ change de signe 300 fois pendant que le faisceau traverse les trois mètres de RFQ, ce qui correspond à une séquence de 300 quadripôles classique ! À cela, on rajoute un champ électrique linéaire qui accélère les particules.
Les électrodes sont en cuivre car c’est un matériau conducteur permettant la bonne circulation des ondes électriques de la radiofréquence et une bonne dissipation de la chaleur.



Qu’est-ce-que le brasage sous vide ?

Méthode d’assemblage de métaux ou de céramiques, le brasage est une technique connexe au soudage. Elle consiste à faire fondre un matériau entre les deux à assembler, mais sans fondre ceux-ci. Pour cela, il est nécessaire d’utiliser un alliage à plus bas point de fusion, c’est-à-dire qui devient liquide à une température inférieure à celle des matériaux à assembler. Dans le cas des RFQ, on utilise un alliage à base d’argent, qui fond à 810°C, tandis que le cuivre constituant les électrodes fond à 1083°C. L’alliage est placé dans des gorges (voir photo n°2 ci-dessus). On le fait fondre entre les pièces de cuivre, il coule et ainsi les brase.
Le brasage sous vide a la particularité d’utiliser un four sous vide, dont l’avantage principal est de chauffer d’une manière très homogène et dans une atmosphère sans oxygène. Ainsi, en empêchant l’oxydation des pièces à assembler, le liquide coule de manière parfaite, uniformément. À l’air, l’alliage aurait fondu mais pas coulé sur la surface de cuivre car elle aurait été complètement oxydée. Il aurait formé une boule, sans fixer les pièces entre elles.
C’est le grand avantage du brasage sous vide : ne pas être obligé d’utiliser un flux décapant, comme pour le brasage à la flamme par exemple, pour enlever les traces d’oxydation sur la surface. En effet, cela est contre-indiqué pour des pièces devant ensuite être placée sous vide, comme c’est le cas avec les RFQ.

par Alizée Dauvergne