Le LHC prend la relève
Organisée dans la station pittoresque de La Thuile, dans les Alpes italiennes, les Rencontres de Moriond ont montré comment les expériences LHC sont en train de prendre la relève s’agissant des découvertes en physique des hautes énergies. Dans le pur esprit de Moriond, la conférence a été pour les jeunes étudiants une excellente occasion pour présenter leurs derniers résultats. Le boson de Higgs pourrait bien cette année être à la portée du LHC et le phénomène de l’étouffement des jets nous livrera peut-être bientôt de nouveaux secrets…
Considérées par les physiciens comme l’une des plus importantes conférences d’hiver, les rencontres de Moriond sont une série de séminaires répartis sur deux semaines et consacrées à des thèmes tels que les interactions électrofaibles, la QCD et les interactions hautes énergies, la cosmologie, la gravitation, l’astrophysique des particules et la nanophysique. Le Bulletin a assisté à la session sur les interactions hautes énergies, lors de laquelle ont été présentés, notamment, des exposés sur la recherche du boson de Higgs, la physique du quark t et la recherche de nouveaux objets. « C’est une des rares conférences où l'on peut encore assister à des discussions très animées entre théoriciens et expérimentateurs. C’est particulièrement motivant pour les jeunes étudiants qui viennent ici présenter leurs derniers résultats », indique Bolek Pietrzyk, l’organisateur principal de la session sur les interactions à haute énergie.
Dans la course à l’énergie de collision la plus élevée, le Tevatron a été un pionnier. À la Thuile, les expériences Tevatron ont présenté de nouveaux résultats, confirmant que le boson de Higgs n’existe pas dans la gamme de masses comprises entre 159 GeV et 173 GeV (ce résultat est donné avec un intervalle de confiance de 95 %, témoignant de la fiabilité statistique des chiffres). « CMS et ATLAS ne sont pas encore en mesure d'atteindre la sensibilité des expériences Tevatron en ce qui concerne la recherche du boson de Higgs dans cette gamme de masses, explique Greg Landsberg, membre de la collaboration CMS. Toutefois, en l’espace d’une année, si tout se passe bien et si le LHC fournit le nombre de collisions attendu, CMS comme ATLAS seront capables d’explorer entièrement la gamme de masses comprises entre 130 GeV et 460 GeV ». S’ils ne détectent aucun indice de l’existence du fameux boson dans cette gamme de masses, les physiciens pourront en conclure qu’il n’existe pas de nouvelle particule ayant cette masse et présentant les propriétés du boson de Higgs. Si, en revanche, ils détectent un nouveau signal, les lois strictes de la statistique les obligeront à disposer de nouvelles données avant de pouvoir confirmer toute nouvelle découverte, ce qui n'interviendra qu'en 2012.
Le boson de Higgs n’est pas le seul objet traqué par les physiciens. Des expériences comme LHCb recherchent une nouvelle physique à travers les désintégrations rares de la particule B, ce qui requiert une sensibilité très élevée de l’appareillage d’expérimentation ainsi qu’une précision extrême dans l’analyse des données. « À la Thuile, nous avons montré que, après seulement quelques mois d’exploitation, notre détecteur a atteint une sensibilité qui, dans certains cas, dépasse celle d’autres détecteurs en service depuis des années, souligne Rob Lambert, membre de la collaboration LHCb. D'ici à la fin de l'année, nous espérons pouvoir mesurer, entre autres, le nombre de muons issus de la désintégration de B. Il s’agit de mesures essentielles, complétant les fameuses mesures effectuées par l'expérience D0. L’année dernière, celle-ci a mis pour la première fois en évidence une asymétrie dans le nombre de muons. Grâce à nos données, nous pourrons déterminer si ce nouveau phénomène peut ou non être associé à une nouvelle physique. »
Début décembre 2010, les premières collisions au LHC ont confirmé l’étonnant phénomène de l’étouffement des jets, l’une des signatures possibles du plasma quarks-gluons. « Pour la première fois, dans les expériences LHC, nous avons observé visuellement la disparition de l’énergie du jet de recul qui interagit avec la matière quarks-gluons. Au LHC, nous pouvons obtenir de nouveaux indices sur l’interaction forte en réalisant des études quantitatives de la dynamique de l’étouffement des jets, indique Frank Ma, du Massachusetts Institute of Technology (MIT), membre de la collaboration CMS. La conférence a été pour nous l'occasion de discuter de la redistribution de l’énergie des jets, qui intervient de façon inattendue à un angle large. Cette observation importante a été faite dernièrement par CMS et ATLAS. Autre élément fourni par l’expérience ALICE, il a été démontré que les effets du milieu en interaction forte pour de faibles impulsions sont plus marqués que ceux observés au RHIC. Le LHC nous permet d’étudier le comportement des effets du milieu pour des impulsions de particules élevées. Ces derniers résultats donneront aux théoriciens de précieux éléments pour comprendre complètement le phénomène de l'étouffement des jets ».
Découvert en 1995 au Tevatron, le quark t reste encore à étudier complètement ; en effet, du fait de sa masse très élevée, il se situe à la frontière entre la physique du Modèle standard et une nouvelle physique. « CMS et ATLAS ont présenté ici pour la première fois le résultat de leur analyse de l’ensemble des données de 2010. La sensibilité qu’elles ont obtenue dans leurs mesures de la section efficace du t est maintenant semblable à celle obtenue par le Tevatron. Les expériences sont prêtes à étudier d’autres propriétés de cette particule, et notamment à mesurer précisément sa masse. Nous utiliserons les données de 2011 pour rechercher une nouvelle physique lors du mécanisme de production et de désintégration du quark t , explique Meenakshi Narain, de l’Université Brown aux États Unis, membre des collaborations D0 et CMS. Pour le moment, les mesures les plus précises de la masse et des propriétés du quark t sont obtenues par les expériences D0 et CDF, mais, au LHC, nous avons déjà observé la production de quarks t isolés, ce qui, au Tevatron, avait pris 14 ans ».
par CERN Bulletin