Des faisceaux hybrides dans le LHC

Les premiers faisceaux proton-ion ont circulé avec succès dans le LHC il y de cela deux semaines. Tout s’était tellement bien passé que les équipes du LHC avaient décidé de programmer les premières collisions p-Pb pour le mercredi 16 novembre. Malheureusement, un problème de dernière minute avec un élément du PS nécessaire pour accélérer les protons a empêché les équipes du LHC de procéder à ce nouveau type de collisions. Toutefois, la voie est ouverte pour une éventuelle exploitation pour la physique avec des collisions proton-plomb en 2012.

 

Les membres de l'équipe du LHC photographiés alors que les premiers faisceaux hybrides atteignaient leur pleine énergie. Les faisceaux de protons et de plomb sont visibles sur l'écran mural de gauche (cliquez sur la photo pour l'agrandir).

Faire circuler dans le LHC des faisceaux différents est un véritable défi technique car, même si la machine est la même, son mode de fonctionnement doit être ajusté lorsqu’elle est exploitée avec des faisceaux de protons, de plomb ou de protons et plomb.

À condition qu’ils soient égaux en termes de masse et de charge, les faisceaux, qu’ils contiennent des protons ou des noyaux de plomb, circulent à la même vitesse, et les paquets entrent en collision toujours dans les mêmes conditions, aux mêmes endroits.

Toutefois, pour produire des collisions proton-plomb, la machine doit fonctionner avec deux faisceaux qui sont inégaux sur le plan de la masse et de la charge. « Étant donné que les deux faisceaux sont soumis au même champ de courbure dans les aimants “deux-en-un” du LHC, les noyaux de plomb circuleront légèrement moins vite que les protons, explique John Jowett, membre du groupe Physique de l’accélérateur LHC du département Faisceaux. À l’énergie d’injection, les protons font un tour supplémentaire de l’anneau toutes les 15 secondes. Les points de collision des faisceaux se déplacent lentement le long des sections des expériences, disparaissant dans les tubes distincts et réapparaissant quelques secondes plus tard au niveau d’une autre expérience. Il n’y a donc plus de périodicité. De plus, le train de paquets du LHC présente une succession d’intervalles, de sorte que la configuration complexe des points de collision varie constamment. En outre, au moment où les faisceaux sont accélérés, chacun devenant encore plus relativiste, ce déplacement se ralentit brusquement jusqu’à ce que, à l’énergie de collision, la différence résiduelle de vitesse puisse être absorbée par un léger déplacement des orbites, qu'il n'y ait plus de variations et que la périodicité se rétablisse. Mais on ne peut échapper à ces effets lors de l’injection et de la montée en énergie. »

Dans le passé, des accélérateurs avaient connu des situations similaires, et certains spécialistes considéraient ces événements comme fatals pour la stabilité des faisceaux. « Pour prouver le contraire, il a fallu effectuer des tests expérimentaux. Ces tests ont maintenant été réalisés », indique John Jowett. Le 31 octobre, après des mois de préparation minutieuse, on a réussi à faire coexister relativement bien des faisceaux de protons et de plomb et à les accélérer jusqu’à la pleine énergie.

Ceci est possible car, à la différence des champs magnétiques dans le LHC, les champs électriques ne doivent pas nécessairement être les mêmes pour les deux faisceaux. Les systèmes radiofréquence autonomes des deux anneaux peuvent fonctionner à des fréquences différentes et prendre en charge deux faisceaux distincts de manière indépendante. « Lors de la montée en énergie, le LHC se transforme en une véritable roulette géante : lorsque le déplacement des points de collision se ralentit, ceux-ci peuvent alors se retrouver n’importe où », explique John Jowett.

En effet, au début, les paquets qui devaient normalement entrer en collision à ATLAS se retrouvaient 9 km plus loin ! Un réglage de virtuose du système radiofréquence a permis de résoudre le problème. « Imaginez deux colliers faits de nombreuses perles placées sur un élastique enroulé autour d’un cylindre. Pour aligner les motifs de perles, on pourrait tirer sur le collier en lui donnant de petites secousses, puis en le laissant revenir à sa place au moyen d’une petite inflexion », explique John. C’est un peu ce que font les systèmes radiofréquence, à ceci près que nos deux colliers circulaient autour du cylindre en sens inverse 11 000 fois par seconde !


Pour une description scientifique du programme proton-plomb, rendez-vous ici.

La physique des collisions proton-plomb

Les collisions proton-ion permettront aux physiciens d’étudier les propriétés de ce qu’on appelle la « matière nucléaire froide ». « Nous serons en mesure de scruter avec une précision encore jamais atteinte les objets nucléaires qui entrent en jeu dans une collision. De plus, lors de la collision, le proton sondera la structure du noyau. En d’autres termes, il s’agira toujours d’une collision proton-proton, mais l’un des protons sera intégré au noyau », explique Yves Schutz, porte-parole adjoint de l’expérience ALICE.

Certaines théories prédisent que l’énergie de collision atteinte au LHC pourrait permettre d’explorer un nouvel état de la matière. Cet état, connu sous le nom de condensat de verre coloré, est différent du plasma quark-gluon (l’état chaud et dense créé lors des collisions plomb-plomb). « La théorie affirme que le condensat de verre coloré est un état de la matière où le gluon est prédominant. En étudiant les collisions proton-ion, nous devrions être en mesure de prouver l’existence de cet état, qui serait l’état précurseur du plasma quarks-gluons formé lors des collisions ion-ion », indique Yves Schutz.

L’objectif principal des futures exploitations p-Pb est d’observer le même type de phénomènes, mais avec des collisions de différents genres. Par exemple, les physiciens pourront comparer le comportement des jets lorsque deux protons entrent en collision (propagation des jets dans le vide), lorsque des protons et des ions entrent en collision (propagation des jets dans la matière nucléaire froide) et lorsque des ions plomb entrent en collision (propagation des jets dans la matière nucléaire chaude ou plasma quark-gluon). Ces observations permettront aux scientifiques de démêler les effets liés à la matière nucléaire froide de ceux liés à la formation du plasma quark-gluon et constitueront une mise à l’épreuve efficace des théories actuelles de la structure de la matière.

 

par CERN Bulletin