Une petite goutte pour l'Homme...

En août, les membres d’un projet ISOLDE baptisé LOI88 ont employé avec succès une nouvelle technique pour étudier l’interaction d'ions métalliques dans un liquide. C’est la première fois que des ions spécifiques sont étudiés dans un milieu liquide – une prouesse technique qui ouvre des perspectives prometteuses pour la biochimie.

 

Au cœur du dispositif expérimental LOI88 : c'est le point où les ions métalliques (à gauche) entrent dans la goutte .

« Plus de la moitié des protéines de notre corps contiennent des ions métalliques, notamment de magnésium, de zinc et de cuivre, explique Monika Stachura, biophysicienne à l’Université de Copenhague et chef du projet LOI88. Nous savons que ces éléments sont essentiels pour la structure et le fonctionnement des protéines, mais nous ne connaissons pas précisément leur comportement et leurs interactions. » Détecter ces ions directement dans un environnement comparable à un corps pose problème, car leurs couches électroniques complètes les rendent invisibles pour la plupart des techniques de spectroscopie. Or, grâce à la technique de la résonnance magnétique nucléaire bêta (RMN β) et à la ligne de faisceau COLLAPS, l’équipe du LOI88 a réussi, pour la première fois, à enregistrer un signal émis par des ions métalliques dans un milieu liquide comparable à un corps. Ce résultat montre que la recherche fondamentale en physique nucléaire et ses techniques peut conduire à de nouvelles applications.

Pour obtenir ces excellents résultats, l’équipe a d’abord dû relever un défi : trouver un moyen d’introduire des ions métalliques « facilement visibles » dans un liquide, afin de « voir » ensuite leur signal. Par « visibles », les physiciens d’ISOLDE entendent évidemment « radioactifs ». Leur choix : des ions de magnésium 31 radioactif (31Mg++). La technique : la RMN β. Le dispositif d’expérimentation : compliqué…

« Avant tout, nous avions besoin qu’ISOLDE nous fournisse un faisceau d’ions Mg31, explique Magdalena Kowalska, physicienne spécialiste en RMN β participant au projet (et coordinatrice pour la physique de l’installation ISOLDE). Pour utiliser la technique de la RMN, nous devons polariser les spins de ces ions, ce qui se fait au moyen de lumière laser venant de l’installation ISOLDE-COLLAPS. Les ions polarisés sont ensuite capturés dans une goutte du liquide. » Ҫa paraît simple, non ? Pas vraiment, si on tient compte du fait que le faisceau doit demeurer dans le vide, ce qui est impossible pour le liquide. « Quand une solution aqueuse est placée sous vide, elle commence par bouillir, puis gèle, interdisant ainsi l’expérience, précise Alexander Gottberg, du CSIC (Madrid),  physicien spécialiste des cibles d’ISOLDE, qui a conçu le dispositif expérimental. Pour résoudre ce problème, nous avons dû créer une différence de pression entre, d’une part, un vide partiel autour du liquide et, d’autre part, le vide poussé de la ligne de faisceau. L’aspect le plus délicat du dispositif était que le système de pompage différentiel utilisé spécialement pour l’expérience devait tenir dans un espace de quelques centimètres. »

Chute d'une goutte au cours de mesures.

La demi-vie du Mg31 n’est que de 230 ms, si bien qu’en moins d’une seconde les physiciens peuvent observer sa décroissance dans la goutte de liquide.

Et c’est précisément cette décroissance qui apporte les informations tant attendues. « En décroissant, le Mg31 émet des particules bêta, explique Magdalena. Comme nos ions Mg31 sont polarisés, les particules bêta ne sont pas émises avec la même intensité dans toutes les directions, ce qu’on appelle une "anisotropie". » Pour le dire plus simplement, le nombre de particules bêta détectées par les scientifiques est différent dans le détecteur de « gauche » et dans celui de « droite ».

Mais que signifie cette anisotropie ? « À partir de nos modèles théoriques, nous déduisons les interactions des ions métalliques dans le liquide en observant la radiofréquence de la RMN à laquelle l’anisotropie s’annule », précise Alexander.

« En démontrant la faisabilité de cette technique, nous avons ouvert de nouvelles perspectives pour la biochimie », conclut Monika. Nous nous préparons maintenant pour les étapes suivantes : injecter des macromolécules, et plus tard des protéines dans le liquide, pour voir comment les ions métalliques interagissent avec elles. Les trois experts ont confié qu’ils étaient « très enthousiastes à cette idée ». On peut les comprendre !


Pour plus d'informations, lisez la lettre d’intention du projet.

 

Comment « fixer » une goutte de liquide ?

La goutte de liquide dans l’installation LOI88 est à peu près de la taille d’un petit pois. La difficulté consiste à trouver l’équilibre : compenser l’évaporation rapide du liquide sous vide par le débit approprié d’alimentation continue de la goutte. Grâce à des ajustements méticuleux, l’équipe du projet LOI88 est parvenue à stabiliser une goutte en cours de régénération, et a ainsi pu effectuer des mesures pendant plusieurs heures. Même si le liquide de la goutte change constamment, il constitue en pratique un milieu stable à l’échelle de temps d’isotopes radioactifs qui décroissent en moins d’une seconde.

 

par Anaïs Schaeffer