Une photographie en 3D de 92 millions de pixels pour l’étiquetage des particules

Quel est le lieu de naissance d'une particule donnée ? Comment peut-on l’étiqueter précisément pour être capable de la suivre en repérant sa trajectoire et sa désintégration ? Telle sera la mission du détecteur à pixels, installé en plein cœur du détecteur ATLAS, au plus près des collisions produites au LHC. Afin d'améliorer ses capacités d'identification et d'étiquetage des particules, la collaboration ATLAS a récemment fait un grand pas en avant dans l'amélioration de son détecteur à pixels, qui prévoit l'insertion d'une toute nouvelle couche de 12 millions de capteurs.

 

Le tube de faisceau en béryllium de  7 mètres de long est installé dans la structure d’assemblage. Il est prêt pour recevoir la nouvelle couche de pixels. Photo : ATLAS Collaboration.

Doté de trois couches et de 80 millions de canaux concentrés dans 2,2 mètres carrés, le détecteur à pixels d'ATLAS était déjà le plus grand système à capteurs utilisé en physique des particules existant dans le monde. Ses excellentes performances ont été décisives dans la découverte d’un boson de Higgs, en juillet 2012. Dès le stade de conception, la collaboration avait pourtant déjà prévu l'ajout ultérieur d'une quatrième couche. Alors que le LHC fonctionnait à plein régime, la collaboration ATLAS a très vite décidé de resserrer son calendrier et de programmer l'installation du nouveau détecteur avant le redémarrage du LHC en 2014. « Ce calendrier très serré a été un vrai défi pour toutes les équipes participant au projet, souligne Beniamino Di Girolamo, coordinateur technique d'ATLAS. Une quarantaine de personnes de la collaboration ATLAS venant de différents instituts ont travaillé d’arrache-pied pour tenir les délais, mais rien n'aurait été possible sans l'aide des experts du vide du CERN. »

En effet, pour que le tube de faisceau puisse être inséré dans la structure du détecteur, il a fallu le rétrécir. Le tube cylindrique utilisé jusqu'à présent était trop large et les nouveaux composants du détecteur à pixels n'auraient pas tenu à l'intérieur de l'ancienne structure. C’est là qu’intervient le groupe Vide du département Technologie (TE-VSC). « Afin de reprendre la conception du tube de faisceau au niveau du point de collisions d'ATLAS, nous avons dû tout d'abord consulter plusieurs autres groupes, notamment des experts dans les domaines de la collimation, de la protection de la machine et de l’impédance, explique Mark Gallilee, chef de projet du groupe TE-VSC et responsable des tubes de faisceau pour les expériences. Les exigences à respecter pour le tube de faisceau d'ATLAS étaient très particulières. En raison de l'espace limité, nous avons dû réduire l'épaisseur de la couche d'aérogel, l'isolant thermique du tube. Nous avons dû également développer un nouveau type de bride amovible, permettant d’extraire si nécessaire la chambre à vide de ce nouvel espace plus restreint. »

Une part importante de la mission a été accomplie au début du mois d'août, avec l'insertion du nouveau tube de faisceau dans la structure de support du détecteur à pixels. « Il y avait très peu d'espace pour réaliser cette opération, les différentes parties ont dû être glissées et déplacées avec une marge de manœuvre de quelques millimètres. Dans certains cas, il y avait seulement 2 mm de libre, et tous les composants ont dû être alignés avec une précision de 10 microns », précise Didier Ferrère, chef de projet adjoint pour le nouveau détecteur à pixels. En plus des contraintes mécaniques, les experts d'ATLAS ont dû résoudre d'importants problèmes thermiques. « Il faut une température de 230 degrés pour activer le NEG, qui permet d’atteindre la qualité de vide requise dans le tube de faisceau ; or le détecteur à pixels fonctionne autour de – 20 degrés, ajoute Didier Ferrère. Des essais et des simulations sont en cours, et nous sommes confiants quant à la compatibilité entre ces deux environnements - le nouveau module et le nouveau tube de faisceau. »

L’équipe ATLAS participant aux opérations de précision: le nouveau tube à vide a été inséré dans le nouveau détecteur à pixels. Photo : ATLAS Collaboration.

Et le résultat en vaut la peine : le nouveau système à capteurs d'ATLAS sera en mesure de fournir aux physiciens 40 millions d'images en 3D par seconde, avec une précision de 92 millions de pixels. Pour Didier Ferrère, « Cela va être un instrument incroyable ; les 12 millions de capteurs supplémentaires de la nouvelle couche vont sensiblement augmenter nos capacités d'identification des particules, notamment dans le cas de particules rares comme des quarks lourds. » « Dans le cas de l’étiquetage des quarks b, c’est deux fois mieux, précise Heinz Pernegger, chef de projet pour le nouveau détecteur à pixels. Or les physiciens considèrent que l’étude de la formation et de la désintégration de ces particules est cruciale pour la compréhension de la matière ».

Le nouveau détecteur a également été conçu pour compenser d’éventuelles défaillances de modules plus anciens, prévisibles dans un environnement hautement radioactif. L'installation de la nouvelle couche sera achevée à temps pour le redémarrage du LHC.


Voir la vidéo (disponible en anglais seulement) sur le détecteur à pixels d’ATLAS et ses éléments.

par Antonella Del Rosso